Jean-Michel Sanejouand, "Bloc-cuisine", 1963
, de la série Charge-objet
œuvre de la collection du Frac des Pays de la Loire
œuvres de la collection du Frac des Pays de la Loire
Hans-Peter Feldmann, Udo Koch, Guillaume Paris, Jean-Jacques Rullier, Jean-Michel Sanejouand, Pierrick Sorin, Patrick Tosani
en lien avec le thème choisi cette année par le département Arts plastiques de la Maison des Arts : la cuisine
26, rue de Saint-Nazaire
44800 Saint-Herblain
mercredi 6 janvier :
18h30 : mercredis-curieux : Le cru et le cuit, conférence-discussion animée par Julien Zerbone
19h30 : vernissage
entrée libre
http://maisondesarts.saint-herblain.fr
Dis moi ce que – comment – tu manges, je te dirai qui tu es. Depuis l'Antiquité, la manière dont on prépare – ou non – et dont on consomme les aliments détermine notre appartenance à la civilisation ou à la barbarie, à l'animalité ou à l'humanité, à l'aristocratie ou aux classes populaires. Paradoxalement, la cuisine, d'abord jugée indigne de la grande peinture, n'est devenue un sujet d'intérêt qu'au milieu du 19e siècle, lorsque les artistes se sont opposés à l'Académie et à ses hiérarchies, lorsque le quotidien et sa retranscription sont devenus l’apanage de l'art moderne. C'est encore plus le cas depuis que l'industrie agroalimentaire, ses publicités, ses emballages, ses marques témoignent de l'emprise de la société de consommation sur notre imaginaire, nos espaces publics et vie quotidienne. Chacune à leur manière, les œuvres présentées ici abordent ce domaine, entre authenticité radicale et artifice exacerbé, entre imaginaire et questionnement critique.
La cuisine, c'est déjà un espace quotidien, standardisé dont les meubles et les ustensiles finissent par nous sembler tous identiques. Théières et meuble en formica, tels sont les objets emblématiques que réinvestissent Udo Koch et Jean-Michel Sannejouand, auxquels ils confèrent une poésie et une étrangeté qui auparavant nous échappait, tout en les détachant de leur usage et de leur contexte d'origine : L'artiste allemand comble les vides autour de belles théières en porcelaine au moyen de moulages en plâtre, révélant tant l'espace qu'elles dessinent que leurs courbes, tandis que Sannejouand installe dans l'espace d'exposition un Bloc cuisine dont la qualité sculpturale et la normalité éclatent littéralement aux yeux du spectateur, pris d'un doute cependant devant ces coussins intercalés entre les deux buffets.
C'est principalement dans la cuisine de leur pavillon de banlieue que Pierrick Sorin met en scène ses avatars Pierrick et Jean-Loup, dans le cadre d'une série produite pour la télévision au milieu des années 90. Les cousins, descendants décadents de Keaton et de Chaplin, ne cessent de jouer plus ou moins lamentablement avec la nourriture, inventant un jeu vidéo avec des œufs, produisant de la musique avec un batteur électrique. Sous le vernis burlesque se fait jour un univers poétique et un pied-de-nez acerbe au monde élitiste de l'art contemporain.
Guillaume Paris avec Gift of the earth reprend quant-à-lui les codes et les éléments d'une publicité M&M's tout en les détournant, la paume dans laquelle reposent trois cacahuètes débarrassées de leur coque de chocolat rappelant au spectateur les réalités économiques et coloniales que cache habillement l'emballage chatoyant. Le philosophe français Jean Baudrillard parle à ce propos de simulacre, un stade de médiatisation où les images qui nous entourent et nous informent finissent par absorber la réalité qu'elles sont censées relayer, expliquer, analyser. C'est la réflexion à laquelle nous incite sans doute Hans-Peter Feldman avec ses collections d'images trouvées dans des magazines, des catalogues, des publicités, qui dessinent un quotidien en série, standardisé, trop propre, trop beau, comme cette série Boulangerie qui semble si normale qu'elle en devient inquiétante.
La cuisine, surtout, c'est l’accommodement de l'autre, c'est l'ingestion d'un corps étranger, à certaines conditions cependant : Le rêve du poisson séché et Le rêve de la cuillère transformée en insecte de Jean-Jacques Rullier décrivent des cauchemars qui furent décrits à l'artiste, situations où la transformation nécessaire des aliments déraille et les rend immangeables, voire dangereux. C'est la même étrangeté surréaliste qui imprègne les deux photographies de Patrick Tosani : les Chaussures de lait mettent en scène la rencontre incongrue de deux éléments essentiels de notre quotidien que tout oppose – noir et blanc, solide et liquide, périssable et durable – et qui cependant possèdent une origine commune, à savoir la vache, métaphore de la complexité de notre rapport à l'aliment et au monde.
Texte : Julien Zerbone