Le travail de l'artiste Philippe Jacq en résidence au Frac, se situe à la croisée des arts plastiques et du cinéma. Une exposition de son travail aura lieu salle Mario Toran du 21 septembre au 14 octobre au Frac, à Carquefou, dans le cadre des Instantanés. L'artiste y présentera un DVD-Rom interactif ainsi qu'une série de photographies sur le thème de l'atelier du peintre. Avec Ophélie et Marat, Philippe Jacq s'est interrogé sur la situation et le regard des peintres à travers une vingtaine de tableaux célèbres reconstitué sur un plateau de tournage (Le Radeau de la Méduse, Ophélie, La baigneuse de Valpinçon, etc.), autant d'images à la beauté plastique troublante et éphémère.
Après avoir parcouru le monde avec sa caméra super 8 afin de dresser "des portraits de célébrités", (Aki Kaurismaki, Jannis Kounellis, Paul Mac Cartney, Nick Cave, Louise Bourgeois, Agnès B., Gilbert and George, etc.) Philippe Jacq s'est approprié des 'œuvres emblématiques de l'histoire de la peinture. A l'Ecole des Arts décoratifs de Strasbourg au printemps dernier, il a filmé une vingtaine de tableaux reconstitués in vivo (La Liberté guidant le peuple de Delacroix, Le Déjeuner sur l'herbe de Manet, La Mort de Marat de David, etc.), sur un plateau de tournage avec des élèves de l'Atelier de scénographie de la Chaufferie. De ces tableaux ré-appropriés, de ces images filmées et des rusches cinématographiques, Philippe Jacq a extrait et monté des "morceaux-choisis" d'une dizaine de tableaux. Il a produit un musée virtuel interactif dans lequel chaque spectateur peut intervenir et ainsi renouveler, complèter l''œuvre, pourtant célèbre, du regard.
Philippe Jacq et Judith Quentel
Judith Quentel : Le Frac présente le DVD-Rom que tu as réalisé dans le cadre de ta résidence au Frac à partir du film tourné à Strasbourg, tu as souhaité qu'il soit montré avec des photos du tournage. Pourquoi ce choix ?
Philippe Jacq : Les photos sont en fait là pour fonctionner comme un story-board. Pour moi, c'est très important de montrer que mon travail relève tout à la fois des arts plastiques et du cinéma. Ici, on va se retrouver devant un écran de projection sur lequel on pourra agir, tout en ayant une sorte de renvoi possible vers "l'image à venir". Cette dernière est suggérée par des photographies du plateau de cinéma sur lesquelles elles ont toutes été réalisées. Ces photographies fonctionnent aussi comme une métaphore du regard du peintre sur son modèle ...
JQ : Pourrais-tu expliquer comment fonctionne ton DVD-Rom ?
PJ : Il est constitué d'une bande son et de séquences tirées du film que j'ai réalisé à Strasbourg avec les élèves de l'atelier scénographie de l'Ecole des Arts décoratifs, dans le cadre d'un workshop. Chaque séquence dure environ 3 minutes. L'œuvre est interactive, le spectateur peut intervenir : il clique sur une toile vierge et choisi d'entrer dans un tableau de son choix. Là, les images en mouvement apparaissent et nous font glisser du point de vue du peintre vers celui du spectateur ...
JQ : Pourquoi avoir choisi des tableaux si célèbres et d'où vient le titre de l'exposition : Ophélie et Marat ?
PJ : Ce choix est collectif puisque chaque étudiant de l'atelier scénographie avait pour le tournage et la reconstitution émis des souhaits aussi bien sur les œuvres à reconstituer que sur les rôles qu'ils voulaient interpréter. A partir de là, j'ai inventé une histoire, un synopsis autour de deux figures "tragiques" : Ophélie qui s'est noyée au Danemark et Marat, qui fut assassiné dans sa baignoire par sa compagne Charlotte Corday. Il s'agit en fait d'une "banale" histoire d'amour qui regroupe deux figures célèbres de l'histoire de la peinture mais qui, à la différence de Roméo et Juliette ne se sont jamais rencontrées. Ophélie et Marat, c'est surtout la rencontre de deux personnages et de deux tableaux emblématiques -Ophélie par le peintre pré-raphaélite John-Everett Millais et La mort de Marat par David. Le synopsis est une fiction qui relate chacune des étapes dans la relation qui unit ces deux figures, les tableaux parmi la dizaine reconstituée -des Noces de Cana au Déjeuner sur l'herbe- incarnant une étape de leur histoire amoureuse.
JQ : Tu as en projet, toujours autour de ces reconstitutions de tableaux, de faire un film 35 mm, du cinéma ...
PJ : Oui, cette résidence a été pour moi, l'occasion de marquer une étape importante dans un processus. Le DVD-Rom fonctionne comme une œuvre d'art autonome, il sera produit en dix exemplaires seulement. Il me permet de continuer à faire vivre le tournage qui a eu lieu à Strasbourg en mai dernier, tout en autorisant une présentation muséale ou dans des galeries à l'instar d'un tableau classique. Ce DVD-Rom peut aussi être perçu comme une sorte de "bande-annonce" du film à venir qui lui sera projeté dans des salles de cinéma.
JQ : Qu'attends-tu de ton séjour prochain ˆ Hollywood ? Quels sont tes rapports avec les maisons de production ?
PJ : C'est encore une autre étape et pour moi une manière de me "frotter" à l'industrie du cinéma américain. J'espère aussi y faire des rencontres ... J'ai fondé ma propre boîte de production sous un nom d'emprunt "Jack Andko" afin de pouvoir développer des projets sans être obligé d'y apposer ma signature comme le ferait un peintre par exemple. Le cinéma est complètement tributaire aujourd'hui des circuits de production comme de distribution.
JQ : N'est-ce pas paradoxal de fonder "Jack Andko productions" et dans le même temps se rendre à Hollywood avec l'idée de s'associer à la "grande" production américaine ?
PJ : J'aime être à la croisée des champs autant que dans le détournement, l'appropriation. Je m'approprie et détourne des tableaux, j'en fais des images qui relèvent tout à la fois de la sculpture, de la peinture ou du cinéma. A Hollywood, il me plairait de pouvoir détourner "le commercial" afin de parvenir à un produit autonome...