Christoph Hinterhuber
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Entretien réalisé au Frac des Pays de la Loire en juin 2002 : Christoph Hinterhuber & Judith Quentel
Judith Quentel : Ordinateur portable, son techno ... les moyens que tu utilises pour travailler sont très concentrés à l'image des œuvres finales. Les "dessins" que tu réalises avec ce matériel ne relèvent cependant pas du graphisme ?
Christoph Hinterhuber : Non, si certains voient un lien très fort entre mes œuvres et le graphisme, je tiens toutefois à préciser que pour moi le graphisme c'est juste un moyen de donner naissance à des images. Il y avait, au début, dans cette familiarité avec les médiums technologiques et les logiciels dont je me sers, quelque chose de l'ordre de la confrontation entre le monde réel et le monde virtuel. Globalement, je m'intéresse à des dispositifs d'exposition, je cherche sans cesse à élargir le champ de mon activité artistique tout en recherchant (paradoxalement) la plus grande concentration. Il ne s'agit pas de faire seulement apparaître des signes mais bien des contenus... dans ce sens on peut dire que je suis un artiste plutôt conceptuel.
JQ : Qu'est-ce que tu as fait pendant trois mois, ici, à la campagne près de la ville ? Es-tu venu avec un projet bien défini ?
CH : Je ne travaille pas par projets mais sur des conséquences. Je m'explique, c'est plutôt simple : chaque œuvre est la conséquence de la précédente. J'élargis toujours plus mon terrain d'action en concentrant au maximum chaque contenu. Ici, à Carquefou, j'ai l'impression de m'être posé, enfin, un moment. D'avoir repris les choses à zéro. Une grande partie de mon travail a consisté à faire une sorte "d'état des lieux" de mes travaux précédents, de ce qui a précédé le travail, ce qui a permis de créer les conditions dudit travail. A partir de là, j'ai poursuivi ma réflexion sur les "dispositifs d'expositions" constitués de néons, de sièges et de peintures murales ou du type de ce qui avait été montré à la Nouvelle Galerie à Grenoble l'année dernière. Evidemment, le rapport à l'architecture ou à l'espace m'intéresse particulièrement et j'en suis venu à l'idée de travailler sur des "tableaux" comme étant la forme d'espace ou d'architecture la plus concentrée. Mais pour moi, le dispositif est là pour "transporter le contenu" et je conçois donc la mise en espace des tableaux imaginés pendant ma résidence comme une grande installation composée de différentes parties qui forment et qui transportent un message. Les images que j'ai créées contiennent notamment un commentaire politique ou idéologique : il y a des mots et aussi des images.
JQ : et de la musique ?
CH : Oui la musique évidemment c'est très important dans mon travail. La musique comme finalement mes "mots-images" crée des atmosphères allégoriques. Avec une pièce comme "02 PLAYLIST" la musique est présente dans l'image et dans les mots autant que dans la composition. Sa présence y est toutefois plus suggestive qu'illustrative puisque dans cette pièce il n'y a pas de son alors qu'il m'arrive souvent de l'inclure dans mes installations soit en permanence soit lors d'une performance où je mixe.
JQ : Il s'agit là d'un travail mural qui mèle plusieurs références : la culture urbaine avec ici une succession de titres de morceaux de musique "trans", peut être aussi un écho au cut up de Burroughs ? Il y a la sonorité des mots, le sens produit par leur juxtaposition (ça c'est le côté narratif), par les couleurs, etc...
CH : Ce travail a je crois un côté très réel (des vrais titres de disques, une matérialité) et en même temps peut fonctionner comme une allégorie un peu ésotérique qui mélange l'histoire, la culture personnelle et urbaine et même la "sous-culture underground", mon travail fonctionne par couches d'images
JQ : Lors de ta résidence tu as réalisé une vingtaine d'images pour lesquelles tu as presque exclusivement utilisé la couleur noire, cette série semble très politique : on y voit un véhicule de guerre, des slogans mystérieux, une arme ...
CH : Justement, le noir c'est la dernière couche en quelque sorte ... Sérieusement, les signes sur fond noir sont apparus dans le prolongement du travail que j'ai réalisé à Rome l'année passée sur fond de souffrance politique, car en Italie Berlusconi revenait triomphant et dans le même temps c'était la grande marche de Gênes ... Dans cette série chaque image transporte une information spécifique, comme c'était le cas déjà sur le carton de l'expo à Rome. On pouvait y lire l'adresse d'un site d'une secte qui a fait parler d'elle puisque cetains de ses membres sont morts dans des conditions "bizarres". Cette secte : "highersource", m'a semblé d'une certaine manière "exemplaire" ou révélatrice quant au fonctionnement du net dans sa part d'imaginaire autant que de matériel. C'est en quelque sorte la sous-culture du troisième millénaire qui s'exprime aussi via ce canal, avec cette secte et en arrière plan l'idée que des extra-terrestres vont nous envahir, etc., cette secte jouait avec un système spirituel, idéologique, lui même nourri par des paramêtres de science fiction et donc par un univers hautement artificiel.
JQ : Toujours l'ambivalence entre réel et virtuel, confrontés grâce au net ....
CH : Internet peut être perçu comme une sorte de miroir et ce qui me fascine avec le cyberspace c'est sa réalité et la manière dont se combinent certaines idéologies (y compris sectaires), l'imaginaire moyen de la science fiction et la réalité, le cyber et le réel. L'exemple le plus connu et le plus emblématique de ces dernières années c'est celui de la guerre du Golfe avec ces images d'une guerre virtuelle et pourtant réelle : la seule chose que l'on voyait c'était des points verts fluos qui clignotaient... Le net c'est aussi bien sûr, un futur espace de liberté et d'émancipation...
JQ : Quels sont les artistes ou les événements qui t'ont marqué ou qui on influencé ton parcours artistique ?
CH : Je disais tout à l'heure que pendant cette résidence j'avais pris le temps de réfléchir à ce que je faisais, pourquoi etc. D'abord je pense que je voulais me débarasser de l'influence de l'Académie des Beaux-arts de Vienne. Curieusement c'est une image de Benjamin Péret, (il était nantais non ?) une photo de lui prise dans les années 20 où on le voit charger un ecclésiastique en soutane avec une chaise a été déterminante dans mon engagement en tant qu'artiste. L'énergie contenue par l'image et la violence du texte avec "Benjamin Péret insulte un curé", l'esthétique de la dissidence (l'anti-cléricalisme) conjugué à "une belle image" ont contribué à ma "vocation" d'artiste. Le monde de l'art devenait tout à coup un monde de liberté et donc de radicalité potentielle, un laboratoire ... Evidemment les conceptuels américains comme Kossuth et Weiner, utilisant les mots, le langage ont aussi beaucoup compté ... Puis j'ai beaucoup voyagé , notamment en Australie où les paysages désertiques m'ont profondément marqué. C'est d'ailleurs en Australie que j'ai réalisé un grand nombre de croquis qui ont servi de base à la série de dessins noirs finalisée ici et qui seront ensuite sérigraphiés sur aluminium.
JQ : Comment le public peut-il réagir face à ces images ?
CH : Je pense que ce sont des signes simples et immédiatement perçus, transportant un certain contenu qui, combinés, forment des sortes de phrases, ou des rébus ... La disposition visuelle donne naissance à un tout plutôt positif même si certains "chapitres" semblent plutôt sombres.
JQ : En particulier la série noire ...
CH : J'aime le noir parce que c'est une couleur évidente : le noir est sérieux, il témoigne d'une sorte d'énergie, c'est une couleur qui est tout sauf fun ou drôle c'est sûr... et puis elle évoque la nuit etc... La série rose est beaucoup plus narrative aussi, plus bavarde ...
JQ : Le noir fait aussi penser à l'anarchie, il y a quand même une forme de nihilisme dans cette série qui commence par un nothing barré d'une ligne et qui s'achève par un nada entouré d'un cercle !
CH : Il y a là un commentaire sur tous les espoirs qui se sont portés sur le cyberspace et sur tout ce qu'on trouve comme information sur le web, mais nothing est plus léger que nada, il renvoie à sunrise (lui aussi barré) il y a un côté allégorique dans ces images, outre le formalisme (le jeu entre les vides et les pleins), cette ligne pour moi est intimement liée à l'horizon tel que je l'ai perçu lorsque j'ai traversé le désert australien par exemple...
JQ : Pourquoi transférer ces dessins sur des matériaux high tech ?
CH : Avec cette série je renonce aux grands formats mais je reste sur des matériaux solides, froids, industriels ....mais beaux.
JQ : En guise de conclusion, on peut dire que lors de cette résidence tu as posé les choses formulé une série de propositions qu'incarne la série de dessins et images dont nous avons beaucoup parlé. Tu as aussi réfléchi à de nouveaux moyens d'expression, toujours plus concentrés, après une période où les contenus comme les formes étaient plus éclatés. Tu as pourtant aussi évoqué la création d'un site internet ? Un nouveau projet ?
CH : Cette résidence à Carquefou m'a permis de me poser après une longue période de nomadisme, même si tous mes voyages ont nourri mon travail. Je suis venu avec quelques idées, un langage visuel et j'ai trouvé sur place une certaine dynamique. J'ai travaillé sur les images dont on a parlé et j'ai aussi réfléchi à la création d'un site, d'un objet plus souterrain ....ce qui m'intéresse dans le dispositif internet c'est le côté anonyme et mystérieux. C'est aussi très ouvert puisque tout le monde peut participer par l'adresse e-mail. C'est une œuvre dart que je souhaite rendre vivante, du "cyber design interactif" ou quelque chose comme ça. Mais ce serait mon premier site ... Il comporterait du son, pendant cette résidence j'ai beaucoup écouté un morceau de musique qui est interrompu de manière presque subliminale (il faut se concentrer pour la saisir, le morceau est très rythmé) par cette phrase : "You have time for a pleasant experience ?"