Energy lithuania, vidéo
Europa, vidéo
Dans le cadre du dispositif national des 20 ans des Frac, "Détours de France", organisé par le Ministère de la Culture, le Frac des Pays de la Loire présente une exposition d'un artiste lituanien, Deimantas Narkevicius, accueilli l'été dernier en résidence lors des Dix-septièmes Ateliers Internationaux du Frac.
Deimantas Narkevicius a développé sa pratique artistique au début des années 90, un moment particulier qui vit tomber le "rideau de fer", avec un travail sculptural autour de l'objet. Rapidement, il s'oriente vers l'image en mouvement, s'inscrivant ainsi, de plein pied dans le contexte des arts visuels. C'est avec la présentation de plusieurs de ses films dans la grande salle d'exposition, que le Frac des Pays de la Loire donne le coup d'envoi des manifestations de son vingtième anniversaire. Deimantas Narkevicius y présente les films Europe (1997), Energy Lithuania (2000) et Kaimietis (2002), dont il a rédigé le script durant sa résidence au Frac. Invité cette année a participer à l'exposition collective de la Biennale de Venise, il s'agit ici de sa première grande exposition monographique en France. "Soit le vrai ou soit le fictif" pourrait être la traduction de "Either true or fictitious". Cet énoncé condense en lui de nombreuses interrogations liées à l'image, à son traitement ou même sa manipulation, à la narration et à la dimension paradoxale et même fictive qu'elle peut contenir malgré son caractère objectif voire ouvertement documentaire.
Europe 54°54' - 25°19' (1997) est un film 16mm (couleur, son) qui raconte le micro-voyage de l'artiste depuis son appartement jusqu'au centre géographique de l'Europe, situé à quelques lieues de Vilnius et incarné par un monument aussi dérisoire qu'inaccessible, en rase campagne. Cette expédition, filmée à la manière d'un documentaire et à l'aide d'une caméra super 8 est commentée par l'artiste lui-même en voix off. Ce récit se double d'une charge idéologique, devenant l'image d'une sorte d'épopée avec, sous-jacente, la question de l'intégration de la Lituanie à L'Europe : une sorte de mirage. Il se mêle à une vision plus subjective, affective même, qu'entretient l'artiste avec son histoire (autobiographique) et l'histoire de son pays. L'histoire collective nous est ainsi rapportée par le biais d'un récit personnel, l'artiste écrivant d'ailleurs en amont les scripts de ses films.
Aux marges du documentaire, Energy Lithuania (2000) se propose comme une relecture de la télévision soviétique et des standards de l'image dans son pays : "Ces images télé avec lesquelles j'ai grandi. Le réalisateur tournait dans une usine, ou traitait d'un quelconque problème social, et c'était censé être de la propagande.(...) Mais les images, elles, étaient bizarrement très modernes." Car quoique mâtinée de propagande et légèrement surranée, l'image tient aussi dans le commentaire qui l'acompagne, dans la narration. Dans Energy Lithuania, on découvre Elektrenai, une ville bâtie toute entière autour d'une usine électrique démesurée qui fut, il y a peu de temps encore, un des fleurons de l'industrie lituanienne. Des panoramas documentés de la cité et de la centrale électrique sont entrecoupés d'entretiens avec des personnages qui l'ont fait vivre et qui l’ont parfois "rêvée", touchants témoins d'un passé glorieux et d'une utopie avortée.
Kaimietis (2002) que l'on pourrait traduire par "L'homme de la campagne" est le récit d'un sculpteur sollicité par l'Etat lituanien pour la réalisation d'un monument à la gloire d'un héros ayant combattu contre les soviétiques avant son exécution en 1949. Ce qui est mis en relief dans ce film complexe, où Deimantas Narkevicius donne tour à tour la parole au sculpteur et à une jeune femme qui raconte (en voix off) son émigration, est le dilemme identitaire dans lequel se trouve aujourd'hui la Lituanie. Afin de tourner la page d'une histoire douloureuse, le gouvernement cherche à reconstruire la Nation. Cependant, la statue érigée en l'honneur du héros anti-soviétique possède toutes les caractéristiques du "réalisme socialiste". Longuement scrutée par la caméra dès le début du film, la sculpture en incarne le pathos et l'esthétique : la nouvelle Lituanie se construit à partir des fragments de son passé. La non-moins incongrue musique qui accompagne ces images (Wagner) vient parachever la vision critique, désenchantée et chargée d'affect qu'entretient Deimantas Narkevicius avec son pays, son histoire.
L'exploration de l'Histoire nourrie de sa propre expérience reste le matériau central de tout le travail de Deimantas Narkevicius. Le processus historique tel qu'il fut fixé dans le bloc de l'est étant totalement étranger à celui qui conditionne la vision occidentale : est-ce que les expériences individuelles (la sienne, celles des personnages interrogés dans ses films) sont représentatives de cette Histoire ? Dans ce cas, quels mots et quelles images peuvent la figurer ? Tout l'art de Deimantas Narkevicius consiste à transfèrer avec justesse et émotion le temps de l'histoire dans l'espace de l'art.