Frac



Exposition
Instantané (55)
Dewar & Gicquel

du 10 mars
au 16 avril 2006
Frac, Carquefou

Ukiyo-e


Dans le cadre des Instantanés, le Fonds régional d’art contemporain des Pays de la Loire présente du 10.03 au 16.04.2006, de nouvelles œuvres de Daniel Dewar et Grégory Gicquel pour leur exposition dans la salle Mario Toran.

Depuis 2002, Dewar & Gicquel développent un travail de sculpture en commun. Attachant une grande importance aux textures, ces deux artistes assument une approche académique, affectionnant les matériaux pleins, lourds, très sculpturaux. L’exposition s’intitule Ukiyo-e, littéralement «image du monde flottant», et renvoie à une forme de l’art populaire japonais, sorte de chronique de la vie quotidienne japonaise au XIXe siècle, peuplée de courtisanes, de samouraïs et de brigands. Ce titre, Ukiyo-e, fait également référence aux traits japonisants présents dans certaines pièces de Dewar & Gicquel, à l’instar de l’œuvre acquise en 2005 par le Frac, La couleur verte détachée de la montagne suit le mouvement de la truite prise (Sekite Hara).

Pour la salle Mario Toran, les deux artistes réalisent un grand éléphant de mer, de sexe mâle, travaillé en cuir épais, aux bourrelets forcés par le poids de la sciure de bois dont il est rempli. L’animal repose sur une structure évoquant le caillebotis ou le pont flottant, assemblage de poutrelles de bois aux arêtes adoucies, tenues par d’épais brins de laine. Cet éléphant de mer est semi-vêtu d’un kimono rouge et noir agrémenté d’une large ceinture à boucle. Enfin, dernier signe de customisation aux accents anthropomorphes, l’animal est rehaussé d’accessoires un peu abstraits évoquant l’univers de la bijouterie de façon déviante : colliers de laine et boutons de bois, pots d’échappement de Monkeys - mini-motos - conglomérés en forme de lustre.


“Daniel Dewar et Grégory Gicquel ont commencé par produire des sculptures qui n’étaient autres qu’une sélection d’objets de fabrication industrielle reproduits à la main, choisis, non pour leurs qualités formelles ou symboliques, mais surtout pour la relation affectionnée que les deux artistes entretiennent avec eux. Bien plus qu’une analyse sur la société de consommation et une trilogie critique ‘sport-bricolage-jardinage’ des loisirs contemporains, différents pans d’activités électives peuvent être lus au travers de ces pioches, truelles, cadres de bmx, chaussures de sport, planches d’aggloméré, skateboards, etc… Il s’agit, avec les Handmade Objects, d’échafauder un autoportrait combiné, de fabriquer avec précision un listing aussi éloquent et autoréférentiel que le modèle hyperréaliste de Charles Ray. Mais là où il s’est arrêté, inquiet de franchir la limite du « craft », Dewar et Gicquel se sont engouffrés (fabriquant entre autres les trainers que Ray s’était finalement refusé à faire (2) ), correspondant, à leur manière franco-britannique, bien mieux à l’image convenue de Los Angeles artists disciples de Paul Mc Carthy et Mike Kelley, que l’impassible Charles Ray, pourtant résident de cette ville depuis le début des années 80. On ne sera donc pas surpris de constater le revirementdu duo vers les excès expressionnistes de Aruba 49CC, qui ne sont d’ailleurs pas sans correspondances avec les productions actuelles des jeunes sculpteurs californiens.

Ce glissement abrupt d’une figuration en apparence froide et dépouillée de toute expression gestuelle à une forme de néo-expressionnisme plutôt débridée manifeste une volonté de remettre en cause les catégories artistiques existantes et de se prémunir contre l’affectation des stratégies sculpturales à un quelconque schème préétabli. Autrement dit, les sculptures de Daniel Dewar et Grégory Gicquel ne sont jamais tout à fait ce qu’elles affirment à priori. Il se pourrait que ce concept de « l’armature», évoqué par Charles Ray, soit avec eux l’objet de multiples retournements, tergiversations et ambiguïtés évidentes ou indécelables, si bien que leur préoccupation la plus récurrente semble être d’inverser sans cesse les corollaires associés à certains des académismes sculpturaux dont ils servent. Ainsi, les Handmade Objects, copie maniaque d’objets ‘déjà là’, sont reloadés de la subjectivité des deux artistes, tandis que les parties les plus ostensiblement ‘créatives’ de leur pratique paraissent porter un regard détaché sur le mythe de l’originalité en art.

L’ambivalence corrode également les limites de genre dans leur production, dont la couche supérieure, délibérément virile, est infiltrée par des poussées de raffinement et de maniérisme efféminés. Dewar et Gicquel manipulent avec ostentation une sous culture mâle, par le déploiement d’un certain nombre de références spécialisées (machines outil raréfiées, engins sportifs pointus et hobbies particularistes), de savoir faire outdoor (taille directe, techniques métallurgiques grossières, tronçonnage) ou de matériologies brutalistes (béton, billes de bois, agglo). Mais cette masculinité est bâtardisée par une tendance aigue au craft, c’est à dire à des pratiques relevant des arts décoratifs et d’une conception ornementale, parcellaire ou brute de la création. S’il s’agit là encore d’une culture identitaire, elle appartient en l’occurrence traditionnellement à des catégories sociales minoritaires (sauvages, femmes, queers) et dont les productions furent longtemps maintenues dos à dos avec la high culture. Cette attention portée à des détails de factures et des rehausseurs raffinés ou baroques (décoration d’objets à la gouache, adjonctions de pompons et plumes, surimposition de poinçons finement gravés, sélection de motifs botaniques ou d’allégories musicales), cette forme de sophistication déviante, infirment et confirment simultanément la propension de ces œuvres à exacerber une identité masculine marginale. Mais en réalité, « la fille qui est en » (pour reprendre l’expression de Charles Ray) Daniel Dewar ou Grégory Gicquel n’est ni réprimée, ni exprimée par leur travail en commun : elle n’y existe tout simplement pas. Plutôt que d’un réel feeling « girly » venant troubler l’unité de genre de leur pratique, il s’agit ici d’une forme évoluée de dandysme, corrompu par la post modernité et une certaine conscience du monde, capable d’englober et de reprendre à son compte une multitude d’informations périphériques, déconsidérées ou anecdotiques. Un post-dandysme décomplexé, pop, maniériste et d’un goût quelquefois douteux, qui porte un intraduisible nom : le Camp.”

Lili Reynaud Dewar, extrait de Chantier public, coédition 40mcube éditions/Archibooks.