vue de l'exposition Mathieu Mercier, Frac des Pays de la Loire, 2006
cliché Marc Domage - © Frac des Pays de la Loire
vue de l'exposition Mathieu Mercier, Frac des Pays de la Loire, 2006
cliché Marc Domage, © Frac des Pays de la Loire
vue de l'exposition Mathieu Mercier, Frac des Pays de la Loire, 2006
cliché Marc Domage - © Frac des Pays de la Loire
Le Fonds régional d’art contemporain des Pays de la Loire consacre une exposition monographique à l’artiste français Mathieu Mercier. Né en 1970, Mathieu Mercier réalise des objets, peintures et sculptures qu’il agence sous forme d’installations. Il est représenté en France par la galerie Chez Valentin, Paris. Deux œuvres de l’artiste sont présentes dans la collection du Frac : Mur de chevilles n°9 (1994-1997) et Structure de bois et de mélaminé, 1 et 2, Etage (1998), acquises en 2001.
Mathieu Mercier conçoit l’exposition comme un exercice de composition synthétique, permettant de renouveler l’approche, sur un mode intuitif ou analytique, des œuvres présentées. Son travail, souvent relié aux notions d’usage et de signe, pose également des questions de production, d’esthétique et de connaissances véhiculées par l’ensemble des réalisations humaines, d’un point de vue pragmatique autant que symbolique. Ses œuvres parlent de matérialité autant que d’immatérialité. Elles s’ouvrent formellement sur une polysémie référentielle inépuisable.
Pour cette exposition monographique, Mathieu Mercier investit la grande salle du Frac, récemment baptisée salle Jean-François Taddei. Il propose à cette occasion des œuvres inédites, ainsi que des pièces déjà exposées.
Sans titre (2005-2006) est une sculpture hybride, à la croisée de l’objet design (un porte-manteau aérien dont la surface d’acier laquée est tout simplement parfaite) et de la structure organique (une essence d’arbre, puisant dans le sol sa dynamique ascensionnelle). Sa couleur (un aplat marron franc à la fois naturaliste et totalement artificiel) confirme la double présence de cette stylisation arborescente.
Au sol, des dalles de marbre délimitent une zone fragmentée, fragmentaire. Cette nouvelle installation de Mathieu Mercier, Sans titre (2005-2006), structure l’espace d’exposition et organise des axes de circulation entre les autres œuvres présentées. Chacune de ces dalles, taillée de manière extrêmement géométrique, décline une représentation synthétisée, un “facettage” du réel qui évoque la façon dont l’informatique exprime par défaut des formes courbes par plans. Etrange collection de mini-sculptures néo-minimalistes, l’ensemble rappelle par ailleurs l’élément paysage au sein même de l’espace d’exposition, évoquant les pas japonais qui façonnent un parcours de promenade. Leur matérialité pleine souligne en contrepoint le vide qui les entoure, dans une nouvelle mise en forme de cette dialectique (vide/plein) qui sous-tend une grande partie du travail de Mathieu Mercier.
Nouvelle production de l’artiste, Sans titre (2006) s’apparente à un dessin dans l’espace, inspiré des modes de connexion synaptique. La sculpture posée au sol représente une trajectoire libre, en écho à celle du regard du spectateur qui circule dans l’exposition. Virages secs, matériaux convoquant un rapport sensuel à la vitesse (métal et peinture automobile métallisée), violence du choix chromatique et impeccable finition dynamisent l’ensemble.
Sur écran plat, la vidéo intitulée RoorschaacH (2005) recrée dans son titre même un principe de symétrie, à l’image des planches du célèbre test psychologique dont elle est constituée. Mises bout à bout, ces planches imposent immédiatement leur dimension picturale. Le passage d’une planche à l’autre s’opère sur le mode du fondu enchaîné, installant un morphing extrêmement lent. La pièce interroge le regard : ces images passent pratiquement pour un logo, que l’on identifie mais que l’on ne regarde pas, jusqu’à ce que l’on s’aperçoive que le passage d’une forme à l’autre s’est fait sans que l’on s’en rende compte. Renvoyant dos à dos l’effet tectonique (étude des déformations) et l’effet trademark (marque déposée), ces planches hypnotisent. Au même titre que le test psychologique qui la nourrit, l’œuvre sert un travail d’interprétation : montrée sur écran plat, elle retrouve par ailleurs une relation formelle forte avec la notion de planche, de dessin, non parasitée par l’objet “télévision”.
Sans titre (Cage à oiseaux, 2004) propose l’image d’une cage déformée, en référence aux logiciels de vectorisation type Wireframe. Ces derniers modélisent les formes d’un objet en 3D sous forme d’un grillage plus ou moins grossier. Sur ce grillage sont habituellement plaquées plus tard les textures, la “peau” des modèles ou les étendues de paysages. La plupart du temps invisible, ce squelette est parfois volontairement laissé au grand jour, donnant un effet de style vectoriel très particulier. La pièce instaure le paradoxe : entre l’encagement et le côté “paysage”, entre la structure métallique et la présence naturaliste des volatiles.
Sculpture jouant du clash formel, Sans titre (2004) unit un muret de blocs de plâtre rectangulaires à un tas du même matériau, monticule tout en rondeurs et coulures. La composition construite et rigoureuse dialogue avec la liquéfaction figée quasi-expressionniste, et la sensualité de ce matériau ordinaire qu’est le plâtre semble révélée par cet aller-retour, ce double traitement esthétique. Conjonction d’univers, la pièce évoque pêle-mêle le chantier en cours, la crème meringuée et le monument funéraire. La pièce Prototype pour une chaise de jardin (2003-2006) est issue d’une série en cours, dans laquelle Mathieu Mercier continue d’explorer la relation qu’il entretient avec le mobilier. L’artiste utilise des formes quotidiennes de manière assez minimale, et les met en regard d’une relation anthropomorphique, d’une relation à l’espace ou à un système de production.
La chaise de jardin fut antérieurement utilisée par l’artiste. Dans Deux chaises (2001), Mathieu Mercier confronte une chaise de jardin à la copie d’une chaise de Rietveld, un vis-à-vis qui fut longtemps emblématique de son travail. Cette pièce aborde littéralement deux modes de production : une chaise injectée de matériaux de synthèse, une autre issue d’une pensée constructiviste et faite d’éléments collés, extrêmement rectilignes. L’une fut produite au début du siècle, à un moment où l’on pensait le rapport au progrès vis-à-vis de la chose construite, que ce soit dans le domaine de la typographie ou de l’architecture, l’objet incarnant alors une pensée des blocs et des éléments géométriques. L’autre chaise fut produite dans les années soixante, à un moment où la relation au corps était plus politiquement sexuée, avec des désirs d’individualisme. Cette pièce montre l’écart existant entre un projet de modernité tel qu’il a été conçu au début du siècle, et ce qu’il est devenu aujourd’hui en lien avec des réalités commerciales. Cette chaise de jardin, produite à des millions d’exemplaires, est présente aussi bien dans le jardin des gens riches que dans les pays les plus pauvres. Cet objet, à la présence très forte, est rarement formellement cohérent (apparition de détails XIXemistes, faux cannage, etc).
Cependant, avec ce nouveau projet autour de la chaise de jardin, Mathieu Mercier ne s’intéresse pas à la réinvention de la forme en soi, ou en tous cas il ne revient pas sur la cohérence relative de l’objet déjà existant. Le piètement reste un piètement standard, il permet le système d’emboîtement et conserve la dimension extrêmement pragmatique de cette chaise empilable et lavable. L’artiste la remoule entièrement en fibres de verre, et retravaille ensuite sur les évidements, dans l’assise, sur le dossier et sur les côtés, dans la tentative de raccrocher cet objet d’une manière plus ou moins signifiée à quelque chose qui s’apparenterait à l’ossature d’un bassin. Ces évidements, rattachés au réel, ont la tentation d’atteindre des sujets plus métaphysiques sans frontalement parler du corps ou de représentations du corps, ces dernières étant généralement absentes du travail de Mathieu Mercier. Autrement dit, au-delà d’une reconnaissance immédiate (tout le monde reconnait une chaise de jardin), cette forme véhicule d’autres référents, plus ou moins clairs. C’est précisément la manière dont le regardeur peut tirer du sens des liens tissés entre ces différents référents qui semble intéresser l’artiste, qui réinvente ici l’anatomie comparée.
Sans titre (2005) est une boucle de néon, sobrement installée sur un crochet. Cet enroulement unit dans la contradiction sa nature (le verre) et sa forme (fluide et molle, à l’image de celle d’un cable électrique accroché dans un atelier). Le néon rayonne, mais n’éclaire pas : il fonctionne ici comme une référence ouverte à la signalétique, à la publicité, à la communication. On peut parler d’une information - ou mise en forme - presque autarcique : cette boucle ramassée sur elle-même renvoie à l’idée de lien, et cette relation de la communication au lien crée une tautologie extrêmement efficace dans un langage non pas publicitaire mais symbolique. De nature ultra synthétique, l’œuvre capture ainsi une vision résistante, entre la tautologie et le paradoxe.
Jouant sur les paires antinomiques (formel/informel, organique/géométrique), la pièce Split (2004) — en français fente/division/déchirure/scission — est réalisée à partir d’un pain de terre standard pour céramique, sommairement travaillé sur les bords. Cet informe tas est divisé en deux par une ligne droite, une coupe franche. Les deux parties ainsi créées sont respectivement présentées sur un socle blanc, muséal, qui contraste formidablement avec leur nature matérielle. Séparés l’un de l’autre de quelques centimètres, les deux blocs semblent abîmés dans la contemplation de leur unité/univocité formelle perdue, et interrogent plus largement l’histoire de la sculpture.