Claire Dehove, Dominique Gonzalez-Foerster, Rénée Green, Noritoshi Hirakawa, Udo Koch, Claude Lévêque, Bernard Plantive, Roman Signer
œuvres de la collection du Frac des Pays de la Loire créées lors des Ateliers Internationaux au domaine départemental de La Garenne Lemot
Gétigné-Clisson
Cette exposition, qui se veut la première d’une série, inaugure les retrouvailles du Fonds régional d'art contemporain des Pays de la Loire et de La Garenne Lemot. Elle pourrait s’apparenter à un retour aux sources : en effet, le Frac fut accueilli en 1988 dans la villa néo-classique de La Garenne Lemot et y développa son activité jusqu’en 1992.
Intitulée Chambre avec vues, cette manifestation réunit les œuvres de huit artistes qui ont tous été associés aux résidences proposées à La Garenne Lemot. Pionnier en ce domaine, le Frac des Pays de la Loire a initié ces résidences dans le cadre des Ateliers Internationaux dès 1984, et a développé par cette expérience exceptionnelle en France une activité de soutien à la création qui contribue à enrichir sa collection de manière originale. La majorité des œuvres présentées dans l’exposition Chambre avec vues a été réalisée dans ces Ateliers puis acquise par le Frac. Elles témoignent de la richesse et du foisonnement de la production artistique dans ce contexte.
Une problématique commune réunit toutes ces œuvres : la relation particulière qu’elles entretiennent avec l’espace et le contexte, et plus précisément la circulation qu’elles définissent entre espace intérieur et monde extérieur. À leur manière, toutes prennent en considération le lieu particulier qu’est La Garenne Lemot, cette demeure bourgeoise et bucolique devenue espace d’exposition ouvert sur le paysage. Plus largement, ces œuvres intègrent le contexte de leur production, à savoir l’institution artistique que représente le Frac, dont l’histoire ici est fortement liée à la Ville de Clisson, au Département de la Loire-Atlantique et à la Région, qui s’articule autour d’un signe emblématique, la Loire.
Claire Dehove dans Rendez-vous à l’Éden fait en 1992 de sa chambre-atelier un plateau à investir discrètement dans ses moindres recoins. Son matériau source diffusé publiquement — 94 cartons d’invitation organisés en deux séries « monochromes » et « énoncés-textes » — est disposé sur les murs, les fenêtres, les portes, les plinthes, comme autant de plans-séquences d’un ou de plusieurs films. Ce montage intégrant les trouées sur le parc, se complexifie aujourd’hui par la projection du film R.S.V.P. où les rushes d’un film relatifs aux trajectoires, aux bifurcations et aux déplacements arrêtés de deux acteurs dans les différents lieux urbains du tournage, sont interrompus par des cartons-intertitres provenant d’une série antérieure à celle utilisée pour Rendez-vous à l’Éden. La coexistence pour le visiteur de différents usages et temporalités lors de son séjour dans cette chambre scénique, est due à la présence d’éléments mobiliers d’ordre domestique ou fabriqués à l’occasion d’une exposition co-organisée par l’artiste (LMX étape 3, avec les designers Dig Ding Dong, Lyon), l’activité artistique offrant ainsi ses prolongements.
Dans Extrait du cabinet blanc, Dominique Gonzalez-Foerster explore la notion de cabinet, dans sa double acception : lieu où l’on travaille et lieu où l’on expose des objets de curiosité et d’études. Elle articule ces deux univers via la fiction, tissée de souvenir et d’amnésie. C’est la fiction qui sous-tend également l’installation Bienvenue à ce que vous croyez voir : dans ce portrait ambigu de la galeriste parisienne Gabrielle Maubrie, les champs censément antagonistes privé et public se confondent, l’existence intime rejoint l’existence publique. L’ensemble crée un espace intermédiaire, et propose une réflexion sur la nature insaisissable et fragmentaire de l’identité.
Renée Green réunit tous les éléments propices à recréer l’atmosphère délicieuse d’un salon aristocratique du XVIIIe siècle : musique de Rameau, ordonnancement classique des différentes pièces mobilières, évocation du jardin à la française, couleurs délicates et pastel, tapisseries pastorales au mur. Derrière cette façade stylée, se cache une réalité plus brutale : celle du commerce triangulaire et des années de la Traite, la vue d’une Afrique fantôme que l’artiste offre aux regards, sans concession. Directement relié aux notions d’espace et de conception de la monstration, le titre de l’installation, Mise en scène, renvoie à ce qui est montré, et plus encore à ce qui, peut-être, préfèrerait rester caché (l’obscène).
Dans l’installation Drops in the Atlantic, Noritoshi Hirakawa donne à entendre, en contrepoint d’un océan d’informations visuelles, quelques paroles personnelles saisies à travers le témoignages d’habitants de Clisson ayant vécu la Seconde Guerre mondiale. L’artiste confronte par là même l’information publique et l’information privée. Il invite également le spectateur à contempler la vue offerte par le paysage extérieur. Avec la photographie Frostbite, Noritoshi Hirakawa joue avec les sens du spectateur en mêlant l’inattendu au quotidien : un espace de toilettes publiques pour hommes accueille une jeune femme assise, fixant l’objectif. Le trouble naît de la confrontation incongrue entre un lieu et son occupante, questionnant notre rapport à la réalité montrée, renvoyant à l’ambigüité de l’image et de notre perception. Les mêmes forces sont à l’œuvre dans la photographie intitulée On april 2, around 13:30 at Inogashira Park, Tokyo : une disjonction entre le décor (un jardin public) et l’activité intime qu’y pratiquent certains corps.
Le travail d’Udo Koch propose une réflexion sur le passage de l’intérieur à l’extérieur, et sur les concepts de vide et de plein. L’artiste part des contours existants des objets et les désintègre en points pour constituer ensuite à partir de ces points des lignes d’extrapolation. Dans la série des théières, l’objet et le moulage de plâtre de l’espace négatif sont présents simultanément. La réalité fonctionnelle de la théière s’associe à la réalité de l’espace qui l’entoure pour donner un signe plastique. Les sculptures Bavaria, China Green et Olaf reprennent ce principe.
Claude Lévêque choisit d’explorer une réalité difficile, celle de la chambre d’hôpital. Combinant les emprunts directs (un déambulateur, des flacons de perfusion) et des éléments plus métaphoriques (la lumière blanche et crue, la silhouette stylisée d’une forme dessinée au néon, serait-ce celle d’un champignon atomique ?), l’artiste nous fait basculer vers un paysage étrange, parcouru en surimpression de nos expériences intimes.
Dans Désert blanc, Bernard Plantive énonce avec un grand dépouillement et une extrême fragilité une œuvre qui semble un territoire en lévitation, entre microcosme intime et projection architecturale monumentale.
Enfin, Roman Signer installe une tente igloo individuelle au beau milieu du parc de La Garenne Lemot : lorsqu’il se rapproche, le visiteur perçoit le bruit amplifié du ronflement de l’artiste. Cette pièce, intitulée Action, Garenne Lemot, Clisson, du 4 au 8 août 1992, place l’accomplissement d’un acte aussi intime qu’ordinaire (le sommeil) dans un lieu extérieur, ouvert et public. Ce micro-territoire protégé qu’est la tente interroge son environnement, et y impulse une nouvelle circulation d’énergie, un passage expérimental où s’imbriquent dimension humaine et dimension esthétique. Une autre action de Roman Signer, intitulée Action, Garenne Lemot, Clisson, 8 août 1992, est présentée sous la forme de huit photographies, constat séquentiel étrange où l’on voit l’artiste enfermé dans une cabine hermétique aux parois de plastique transparent.