Vue de l'exposition "Passion de l'été pour l'hiver", Frac des Pays de la loire, 2007
cliché: Marc Domage
Vue de l'exposition "Passion de l'été pour l'hiver", Frac des Pays de la loire, 2007
cliché: Marc Domage
Lili Dujourie, Valie Export, Christelle Familiari, Marie-Ange Guilleminot, Jiri Kovanda, Laurent Moriceau, Orlan, Gina Pane, Régis Perray, Roman Signer, Barbara T. Smith
Œuvres de la collection du Frac des Pays de la Loire
L’exposition Passion de l’été pour l’hiver, propose une sélection d’œuvres de la collection dédiées à la performance.
Phénomène à part entière, situé en marge des courants figés par l’Histoire, la performance ouvre sur un autre mode d’expression lié au corps, au geste et à l’action. Depuis cinq décennies, cette discipline ancrée dans la croyance que le corps est un médium pour l’art échappe à toute définition réductrice. Entité incertaine car multiple, la performance englobe un vaste éventail de préoccupations artistiques et un nombre tout aussi diversifié de disciplines et de techniques - littérature, poésie, théâtre, musique, danse, architecture et peinture, de même que vidéo, cinéma, photographie, projections sous toutes leurs formes et combinaisons. Elle est aussi en prise directe sur l’imaginaire contemporain et aborde les thèmes essentiels de la culture actuelle, tels que l’identité sexuelle, la définition du corps ou le multiculturalisme, en liant le psychologique au perceptif, le conceptuel au pratique, la pensée à l’action.
Plus largement, la performance invite à méditer certaines problématiques telle l’érosion de la distinction entre représentation et réalité, entre vie et art ; ou telle la question de la trace, son statut et sa capacité à restituer la puissance éphémère – magique - de l’action. Au travers d’un large éventail d’œuvres de sa collection, le Frac des Pays de la Loire réinterroge ce champ artistique. L’exposition se place sous l’égide de grandes figures pionnières : Valie Export, héritière de l’Actionnisme viennois, révèle nos comportements et l’emprise des codes sociaux sur nos corps à travers le sien, champ de bataille défiant l’aliénation ; Gina Pane explore dès la fin des années soixante le langage du corps, ses blessures et son énergie vitale, et déplace notre perception du monde grâce à ses constats photographiques aux storyboards extrêmement rigoureux ; Barbara T Smith, dont le Frac est le seul en France à posséder un ensemble significatif de photographies, se focalise depuis 1969 sur les règles, les valeurs, les interdits collectifs des relations entre les hommes et les femmes que notre société occidentale régit ; enfin Orlan, qui remet en cause de manière radicale l’identité féminine, ouvre son corps, modifie chirurgicalement sa propre image, et bouscule les notions de beauté et de tabou liées à notre environnement socio-culturel.
Plus proches de nous dans le temps, les artistes Marie-Ange Guilleminot et Christelle Familiari prolongent cet esprit féminin et féministe, de manière moins politisée sans doute, mais tout aussi critique. Leurs univers convoquent une intimité troublante, une mise à nu des états du corps, souvent prolongée par des objets inédits. Il est aussi question d’objets dans la pratique performative des quatre artistes masculins de cette sélection : Laurent Moriceau et ses approches processuelles de l’autre (absorption métaphorique, vêtement fantasmatique), Roman Signer et ses pyrotechnies existentielles, grandioses et dérisoires ; Jiri Kovanda et ses installations extraordinairement simples dans le milieu urbain et naturel ; Régis Perray et son épopée discrète et laborieuse de dépoussièrage du monde et, corrélativement, du regard que nous portons sur lui.
Enfin, l’exposition présente l’œuvre de l’artiste inclassable qu’est Lili Dujourie. Les films qu’elle réalise entre 1970 et 1980 renvoient à la fois aux captations objectives d’un Andy Warhol et aux fulgurances des dialogues corps-espace des films d’Ingmar Bergman. Cette connivence tactile autant que cérébrale du corps de l’artiste avec le spectateur s’incarne délicatement dans le film intitulé Passion de l’été pour l’hiver, qui donne son titre à l’ensemble de l’exposition : comme une promesse d’émotions puissantes et d’engagement des corps à l’infini.
Texte : Eva Prouteau