Frac



Exposition
Instantané (67) :
Michelle Naismith

du 8 mars
au 20 avril 2008
Frac, Carquefou

Liberator House


Dans le cadre des Instantanés présentés dans la salle Mario Toran, le Frac des Pays de la Loire invite l’artiste Michelle Naismith du 8 mars au 20 avril 2008.

Catalogue de l'exposition


Michelle Naismith, originaire de Glasgow, vit aujourd’hui à Bruxelles après six années passées à Nantes à la faveur de son post-diplôme à l’Erban. Explorant principalement le medium vidéo, l’artiste construit des fictions complexes arimées souplement à la réalité du monde, bases d’un univers raffiné où le spleen côtoie la fantasmagorie.

Sans logique apparente, les scénarii de Michelle Naismith imbriquent des éléments très contrastés qui, paradoxalement, deviennent constitutifs d’une étrange cohérence. En 2002, le court-métrage Palais de Justice (I choose also black) met en scène les titubations d’une créature maladroite, gros œuf anthropomorphe cousin de l’Humpty Dumpty de Lewis Caroll, déambulant autour de l’architecture implacable du palais de justice conçu à Nantes par Jean Nouvel. Images du pouvoir, images d’un discours à la fois sûr de lui et fragile, le film interroge en creux les symboles de l’autorité, alors que décors et accessoires théâtraux, mi-réalistes mi-fantastiques, installent une réflexion sur l’artifice scénique.

En 2003, dans Au revoir Moodle Pozart, Michelle Naismith introduit le personnage d’un grand caniche blanc humanisé et perruqué qui hante également les images de Puis-je caresser l’espoir réalisé en 2004. Figure neurasthénique et magique, Moodle Pozart vient là nourrir de sa mélancolie le paysage de Malakoff, cité construite en 1968 à la périphérie du centre ville de Nantes et logeant majoritairement des communautés immigrées. Les plans sont souvent fixes et les actions minimes, le montage est rudimentaire et la narration parfaitement digressive. Le texte, jamais illustratif ni explicatif, n’apparaît qu’en sous-titrage de l’image, et la bande son enchante par son omniprésence. Elle reprend le principe du contraste : la pop des High Llamas appuie le rythme de la succession des plans, un air de Couperin au clavecin superpose l’époque Louis XV à la cité Malakoff, contemporaine réalité confrontée à la démolition imminente.

L’artiste livre en 2005 une vidéo intitulée I see the face. Elle se déroule à Los Angeles et met en scène une productrice hollywoodienne hystérique et caricaturale, hybridant la Laura Palmer de Twin Peaks et la Catherine Trammel de Basic Instinct. L’impureté esthétique des images qui marient univers télévisuel et cinématographique sert la représentation d’une société totalement soumise au pouvoir des médias. Ici le texte est parlé mais continuellement perturbé par les interruptions de la productrice, fragilisant la stabilité narrative au même titre que le font certains effets numériques (le papillon qui traverse le film, furtif rappel des attributs de la Vanité au XVIIe siècle).

Dans Feel the hollow (2006), Michelle Naismith poursuit cette méditation sur les médias en imaginant une suite insolite au film de Frederick Wiseman, Model (USA,1980), documentaire où Wiseman observe l’asservissement des mannequins - aux agents qui les vendent, aux créateurs qui les instrumentent - au sein de l’agence Zoli à New York. Partant de cette description des processus de standardisation de la beauté, Michelle Naismith élabore une réflexion sur le vide et le retrait du monde, le mutisme et l’immobilité via la figure de Madame X, star photographe de mode des années 70, alitée désormais dans un sanatorium.

Certains des contrastes duels évoqués ci-dessus (féérie/réalisme, légèreté/drame imminent, voyage/immobilisme) ressurgissent dans The Captains (2006) où sept adolescents tournent en rond sur une balançoire tandis qu’en surimpression, le texte sous-titré évoque un périple infini vers le sud confirmé par les envolées gracieuses de la musique d’Arvo Pärt. Michelle Naismith rejoue ici les codes d’une certaine efficacité cinématographique et les met au service du fantasme et du mystère. Elle provoque ainsi l’émergence du merveilleux, à la fois impénétrable et puissamment familier.

A l’origine de son projet pour le Frac des Pays de la Loire, Michelle Naismith a remis en perspective le travail qu’elle effectue depuis sept ans en hôpital psychiatrique. Elle a par ailleurs poursuivi ses recherches sur l’anti-psychiatrie, née dans les années soixante à l’instigation du psychiatre écossais R.D Laing qui considère la maladie mentale avant tout comme la réaction d’une personne à un environnement oppressif. Michelle Naismith s’est également intéressée à l’explosion de l’ère psychédélique, au premier ‘Summer of love’ de 1967, ainsi qu’à la culture rave, aux free parties et au second ‘Summer of love’ qui a marqué l’Angleterre en 1988. Tous ces thèmes ont contribué de manière diffuse à l’élaboration de l’exposition Liberator House, conçue non de manière narrative mais plutôt comme un patchwork d’émotions, une mise en forme légère, atmosphérique, minimale.

Liberator House : c’est l’inscription qui surmonte la porte principale d’un bâtiment dont la façade austère et déprimante se dresse dans un no man’s land, non loin de l’aéroport de Prestwick en banlieue de Glasgow. L’artiste s’approprie l’identité de cet immeuble kafkaïen pour la transplanter dans un univers imaginaire plus doux, un espace ouvert suggérant de multiples potentialités oniriques. Une certaine inquiétude subsiste cependant, perceptible d’emblée dans l’installation Portable Liberator : cette monumentale fermeture éclair habille la porte d’entrée de la salle Mario Toran, invitation textile sensuelle et ludique qui pourrait tout aussi bien se refermer sur le visiteur. L’objet fut inspiré à l’artiste par l’enseigne d’une vieille mercerie proche de son domicile bruxellois : un indice révélateur du mode opérationnel de Michelle Naismith, qui glane les images au cours de ses voyages, fonctionne par imprégnation au contexte et associations libres.

L’espace d’exposition est parcouru d’une installation sonore spatialisée, omniprésente, dont les fréquences infrabasses traversent physiquement le visiteur. Ce paysage musical est né d’une hybridation improbable, entre univers domestique somnolent et dancefloor débridé : le mix des ronronnements d’un chat et des rythmes propres à l’acid house music, traités ici de façon très minimale. Un écho de cet univers acid est présent visuellement dans le jaune lumineux d’une affiche sérigraphiée présentée en deux exemplaires inversés : deux smileys nous contemplent, l’un comique l’autre tragique. Clin d’oeil à une œuvre antérieure de l’artiste (Sweet Little Mysteries, 2005-2007 ), ces posters répliquent dans une version plus précieuse l’original trouvé par Michelle Naismith dans la rue. Ils font la promotion d’une soirée donnée dans un célèbre club anversois en hommage à l’acid house music, dont le revival est très fort actuellement en Belgique.

Parachevant cet environnement, une vision hypnotique et relaxante — projection d’un bouton de veille de Macintosh — palpite au mur : un cœur ou une planète qui transforme cet espace en support de méditation, ouverte vers l’extérieur du Frac et connectée au monde. Cette pulsation calme est cependant contrariée — et certainement enrichie — par sa cohabitation avec le paysage sonore, tout en friction de rythme.

Entre les œuvres se tisse une entente tacite et mystérieuse, complexe et inattendue, qui donne à l’ensemble de l’exposition sa saveur d’étrangeté. Dans l’espace qui sépare la fête de l’introversion, le piège du refuge, Liberator house inscrit son territoire : celui d’une fiction ouverte.

Remerciements à François Curlet, Jean-Paul Jacquet, Sophia Mghari, Monika Radwan, Laurent Siksous, Marc Tsipkyne, Wim Vermeylen, et pour la préparation et le montage de l’exposition : Ombeline Bredow, Alexandra Godet, Maud Amand, Agathe Perdriau.

Eva Prouteau