vue de l'exposition Porte-parole, Frac des Pays de la Loire, 2008
© Frac des Pays de la Loire
vue de l'exposition Porte-parole, Frac des Pays de la Loire, 2008
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Chris Burden, The Rant, 2006, œuvre de la collection du Frac des Pays de la Loire
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L’art est engagement : si l’assertion tient sans doute du lieu commun, elle est loin d’évoquer une vérité monolithique. Qu’entendre en effet dans la multiplicité sémantique de ce mot - ENGAGEMENT - revitalisé sans cesse au cours de l’histoire ? Poursuivant la réflexion menée en mars 2008 autour de ce thème* ouvert et complexe, le Fonds régional d’art contemporain des Pays de la Loire propose Porte-parole, épisode 2, une sélection d’œuvres de sa collection qui déploie toute la diversité des formes contemporaines de l’art engagé et de leurs enjeux. L’exposition s’ancre temporellement dans les années 60 & 70, lorsque s’amorce une relation nouvelle entre l’art et la société, celle de la consommation et de l’information, qui contraint l’art à occuper des positions de plus en plus marquées vis-à-vis de l’Histoire. L’actualité, par son hyper-présence, joue alors un rôle sans cesse grandissant dans la production et la lecture des œuvres contemporaines. Deux figures tutélaires, Martha Rosler et Chris Burden, montrent la voie : la première croise les clichés d’intérieurs cossus avec les photos de combats de la guerre du Vietnam dans des collages dénonciateurs ; le second se fait connaître en offrant son corps comme cible : comment rester de marbre face à un homme qui, devant nos yeux, se fait tirer dessus ?** Cette même insistance des créateurs contemporains à tenir notre sensibilité en éveil quand la multiplication des images l’anesthésie conduit Bill Owens à enquêter au cœur du rêve américain : comme par effraction, ses photographies plongent dans l’intimité de la middle class américaine pour en déceler les fêlures et la vulnérabilité. Dans une optique similaire - interroger notre petite «fabrique» de l’histoire - Artur Zmijewski met en perspective le rapport toujours problématique de l’Allemagne à son passé nazi en pointant la saleté ostentatoire et la déshérence de la Zeppelin Tribüne à Nuremberg, ce haut lieu du Troisième Reich dessiné par Albert Speer et immortalisé par Leni Rieffenstahl, encombrant mémorial d’une époque devenue honteuse. Autre réminiscence de la Seconde Guerre Mondiale: les rayures camouflages utilisées pour les bateaux militaires qui habillent les architectures génériques de Nathan Coley - une mosquée, une église, une synagogue - invitant à une relecture hybride de l’Histoire, croisant les champs esthétiques, religieux, et socio-politiques pour questionner le sens et l’essence des formes. Ce sont les formes folk (les phénomènes sociaux et les traditions populaires) qui passionnent Jeremy Deller : son œuvre multiforme parvient à faire dialoguer des réalités séparées en créant des terrains de rencontre entre différentes expériences. Dans cette capacité de mise en relation réside la dimension politique de son travail, affleurant dans la série photographique Sans titre, consacrée au Nevada. Les personnages populaires et quasi-fantastiques de Ricardo Lanzarini touchent au réel de façon tragi-comique: dessins «de contrebande» posés sur des supports fragiles (papier à cigarette, fragments de serviette jetable), ces micro-récits articulent de petites histoires face à la grande Histoire, celle de la dictature militaire uruguayenne notamment, qui a broyé le destin familial de l’artiste. Chez tous ces artistes, il est question ici de résistance et d’acuité critique : que penser de l’œuvre de Claire Fontaine, cette brique d’un mur ambigü qui reprend la couverture d’un de ces innombrables ouvrages de développement personnel importé des états-Unis, Vivre! Comment vaincre la dépression par soi-même ? Y a-t-il un mode d’emploi pour vivre ? Et dans quelle société ? Murée dans quelle combativité émotionnelle ? Que questionne à son tour Chris Burden dans la vidéo The Rant (La Déclamation) où l’artiste divague dans son jacuzzi et assène au spectateur des salmigondis ésotériques sur Dieu, la sauvagerie des hommes et les forces du monde ? Notre faculté à avaler les couleuvres du premier gourou venu ? Enfin, qu’attendent les hommes postés sur une passerelle d’accès à un avion absent dans la photographie d’Adrian Paci ? Paci met-il en scène une impasse ou la promesse d’un envol ?
A l’image de cette dernière œuvre, l’exposition Porte-parole, épisode 2 ne propose aucune lecture univoque de l’histoire : l’ensemble, où figurent de nombreuses acquisitions récentes, met en écho les œuvres vigilantes d’artistes qui ont définitivement renoncé à être de simples spectateurs du monde contemporain.
*à l’occasion de l’exposition Porte-Parole, qui s’est déroulée du 03 au 27.03.2008 au Théâtre universitaire et dans les halls des bâtiments Censive et Tertre de l’Université de Nantes.
**Shoot, 1971. Performance en public au cours de laquelle l’artiste s’est fait tirer une balle dans le bras gauche.
Texte : Eva Prouteau