vue de l'exposition Saâdane Afif, One, Frac des Pays de la Loire, 2008
cl : Jonathan Boussaert, © Frac des Pays de la Loire
vue de l'exposition Saâdane Afif, One, Frac des Pays de la Loire, 2008
cl : Jonathan Boussaert, © Frac des Pays de la Loire
vue de l'exposition Saâdane Afif, One, Frac des Pays de la Loire, 2008
cl : Jonathan Boussaert, © Frac des Pays de la Loire
vue de l'exposition Saâdane Afif, One, Frac des Pays de la Loire, 2008
cl : Jonathan Boussaert, © Frac des Pays de la Loire
vue de l'exposition Saâdane Afif, One, Frac des Pays de la Loire, 2008
cl : Jonathan Boussaert, © Frac des Pays de la Loire
vue de l'exposition Saâdane Afif, One, Frac des Pays de la Loire, 2008
cl : Jonathan Boussaert, © Frac des Pays de la Loire
vue de l'exposition Saâdane Afif, One, Frac des Pays de la Loire, 2008
cl : Jonathan Boussaert, © Frac des Pays de la Loire
vue de l'exposition Saâdane Afif, One, Frac des Pays de la Loire, 2008
cl : Jonathan Boussaert, © Frac des Pays de la Loire
Du 8 mars au 15 juin 2008, le Frac des Pays de la Loire invite l’artiste Saâdane Afif à investir la salle Jean-François Taddei. Diplômé des beaux-arts de Bourges, en post-Diplôme à l’École des beaux-arts de Nantes, Saâdane Afif réalise sa première exposition personnelle en 1998 (Galerie Michel Rein, Tours). Il vit successivement à Marseille, Nice (Villa Arson) et Glasgow (Villa Médicis Hors les Murs). Depuis 2003, il réside à Berlin. En 2006, il est le deuxième lauréat du prix international d’art contemporain de la fondation Prince Pierre de Monaco. En 2007, il est présent à la douzième Documenta de Kassel.
Saâdane Afif n’est spécialiste en rien : rencontres, dessins, sculptures, photographies, installations, sons, attitudes, slogans et textes, autant de champs exploratoires où l’artiste guette le réel, le filtre et le transpose poétiquement. «J’appartiens à une génération d’artistes qui (...) aborde l’art comme une forme de langage avec lequel on joue, qu’on déforme, qu’on transforme, sans cette recherche précise de l’objet qu’avaient nos aînés.» Et le langage de Saâdane Afif semble irréductiblement polyphonique, multipliant avec une fluidité remarquable les modes d’adresse au public et questionnant souvent le principe même de l’exposition.
C’est ce que révèle l’installation Power Chords (2005), chœur de guitares électriques où chaque instrument joue une suite d’accords déduite de la séquence chromatique d’un bâton d’André Cadere (exemple d’une pratique citationnelle récurrente chez Saâdane Afif). Ces riffs reprennent le principe des « Money chords», succession de trois ou quatre accords qui ponctuent l’histoire du rock et suffisent souvent à faire un tube. Mais par la place qu’elle laisse au silence et à la dissonance, Power Chords ruine toute efficacité mélodique et rythmique, donnant sa préférence au déploiement d’ un paysage sonore mélancolique offert au spectateur-auditeur.
Lyrics (2005) poursuit cette modalité d’ouverture d’un territoire expérimental dans l’exposition : l’artiste y interroge ses expositions passées via une installation dépouillée, combinant textes de chansons imprimés aux murs, ballet de cercles lumineux projetés au sol, et scène déserte construite à partir de matériaux de récupération trouvés initialement au Palais de Tokyo. Pour l’écriture des textes, Saâdane Afif sollicite des écrivains et critiques d’art en leur demandant de « traduire » certaines de ses œuvres en chanson, puis invite des musiciens à mettre ces textes en musique. Désirant produire un commentaire sur son travail qui dépasse le cadre critique, didactique ou journalistique, Saâdane Afif s’attache à la qualité poétique des textes produits, qui gardent par essence une forme de résistance à l’entendement direct au même titre que les œuvres auxquelles ils se réfèrent. L’œuvre et le texte entretiennent alors un dialogue inédit, qui redessine les limites dans lesquelles l’artiste inscrit sa pratique, mue par une logique du débordement vers d’autres réalités (textuelles, musicales et discographiques).
Lors de la Biennale de Lyon 2007, Saâdane Afif est invité en tant que commissaire à poser son regard sur la scène artistique française durant les dix dernières années. Là encore, il s’emploie à produire des déplacements (de sens, de forme, de responsabilité) et configure une exposition-portrait en rendant hommage à Patrice Joly, fondateur et directeur de la Zoo Galerie de Nantes et de la revue critique 02. Différemment, Saâdane Afif prolonge la logique coopérative qui marque l’ensemble de son œuvre et réaffirme son crédo : « Notre société et les structures qui la régissent, monde de l’art compris, incitent profondément au repli sur soi. Or, les idées et les formes gagnent souvent à être partagées. »
Pour le Frac des Pays de la Loire, Saâdane Afif structure l’exposition One, autour d’un thème récurrent dans son œuvre : la Vanité, sujet exprimé antérieurement au gré de pièces formellement éclectiques (Vanité, post-it, Le vrai scandale c’est la mort, Power chords...). L’artiste réunit pour cette installation inédite, intitulée Re : Tête de mort, nombre des codes du genre : le crâne, la bulle de savon, le miroir, la musique... La référence à la peinture est omniprésente, et inclut la pratique de l’anamorphose, cet « art de la perspective secrète». En effet, les dalles monochromes qui donnent corps au vaste plafond suspendu dans la salle Jean-François Taddei semblent au premier regard placées selon un schéma abstrait sans réelle cohérence. Elles recèlent cependant une vision latente, que le procédé de pixellisation maintient entre présence et absence. Les grappes de bulles-miroirs posées en équilibre sur deux socles-enceintes portent en elles autant de points de restitution de ce motif qui flotte dans l’espace comme un présage d’image.
Par ailleurs, Saâdane Afif affirme sa qualité de «sculpteur de liens» : il invite Judicaël Lavrador, critique d’art et commissaire, à écrire un texte poétique sur l’œuvre. La forme (des phrases simples, comme dans beaucoup de textes pop), l’idée, la façon dont le texte apparaît dans l’exposition sont pensées et développées comme un processus rigoureux au sein même du travail de Saâdane Afif. À partir de ces contraintes fortes, Judicaël Lavrador déploie son propre imaginaire qui vient nourrir l’œuvre d’un nouveau point de vue, la traduire, la diffracter, l’abstraire aussi.
Un autre dialogue, une autre part d’échange naît de la collaboration avec le duo de graphistes deValence : via les outils qu’ils possèdent (le graphisme, la mise en forme, la typographie, etc), Saâdane Afif les entraîne à donner leur propre lecture de l’œuvre Re : Tête de mort à travers une affiche. En résulte cet étrange poster rock’n’roll et symboliste, réponse inattendue qui témoigne en filigrane du plaisir éprouvé par Saâdane Afif à se faire surprendre par des formes qu’il n’aurait pu développer lui-même et qui enrichissent son travail d’interprétations inédites.
Loin des circuits tautologiques, la démarche de Saâdane Afif cerne précisément ces «endroits du lien» : ceux qui permettent certes de produire des formes figées le temps d’une exposition, mais surtout ceux qui transcendent ces formes dans un mouvement très fluide, où rien n’est définitif. «A travers tout cela, j’essaie de mettre en place quelque chose de complexe : comment puis-je représenter cet endroit-là, qui serait moi, toi, nous face à une œuvre, et ce moment précis où nous devons prendre la responsabilité d’interpréter l’objet sous nos yeux, pour le faire entrer dans notre propre pensée et pour le véhiculer.»
L’exposition s’intitule One, en écho à celle que propose Saâdane Afif au Frac Basse Normandie du 14 mars au 8 juin, qui s’intitule...Two. One two, one two : gimmick fredonné qui annonce le commencement d’une nouvelle chanson, et même d’un nouveau single album, celui que produira bientôt l’artiste à partir des textes de Judicaël Lavrador et des visuels des deValence, présents dans les deux expositions comme un glacis final venant unifier l’ensemble. Avec toujours ce même postulat : créer du sens en créant des liaisons, et générer de nouvelles clés pour entrer dans l’œuvre.
Eva Prouteau
Cette exposition a bénéficié du partenariat exceptionnel de la Société Rockfon et du soutien de la Société Dufisol.
Remerciements pour la préparation et le montage de l’exposition à Ombeline Bredow, Alexandra Godet, Maud Amand, Agathe Perdriau.