vue de l'exposition, La Garenne Lemot, 2008
cliché Jonathan Boussaert, © Frac des Pays de la Loire
vue de l'exposition, La Garenne Lemot, 2008
cliché Jonathan Boussaert, © Frac des Pays de la Loire
vue de l'exposition, La Garenne Lemot, 2008
cliché Jonathan Boussaert, © Frac des Pays de la Loire
vue de l'exposition, La Garenne Lemot, 2008
cliché Jonathan Boussaert, © Frac des Pays de la Loire
vue de l'exposition, La Garenne Lemot, 2008
cliché Jonathan Boussaert, © Frac des Pays de la Loire
vue de l'exposition, La Garenne Lemot, 2008
cliché Jonathan Boussaert, © Frac des Pays de la Loire
vue de l'exposition, La Garenne Lemot, 2008
cliché Jonathan Boussaert, © Frac des Pays de la Loire
vue de l'exposition, La Garenne Lemot, 2008
cliché Jonathan Boussaert, © Frac des Pays de la Loire
vue de l'exposition, La Garenne Lemot, 2008
cliché Jonathan Boussaert, © Frac des Pays de la Loire
vue de l'exposition, La Garenne Lemot, 2008
cliché Jonathan Boussaert, © Frac des Pays de la Loire
vue de l'exposition, La Garenne Lemot, 2008
cliché Jonathan Boussaert, © Frac des Pays de la Loire
vue de l'exposition, La Garenne Lemot, 2008
cliché Jonathan Boussaert, © Frac des Pays de la Loire
Carte blanche à Marion Daniel
œuvres des collections du Frac des Pays de la Loire, du Frac Bretagne, du Frac Aquitaine, du Frac Limousin, du Frac Poitou-Charentes, du Frac Basse-Normandie, du Frac Midi-Pyrénées, du musée des beaux-arts de Nantes, du Musée National d'Art Moderne, du Fonds national d'art contemporain / Centre national des arts plastiques, de la Fondation Cartier et Jousse Entreprise
Claude Closky, Gérard Collin-Thiébaut, François Curlet, Philippe Durand, Raymond Hains, Anabelle Hulaut, Matthieu Laurette, Franck Scurti, Yann Sérandour, Pierrick Sorin
GÉTIGNÉ-CLISSON (44)
En 1998, Raymond Hains organisait au FRAC des Pays de la Loire, alors installé à Nantes, une exposition de photographies et de «Macintoshages»3 intitulée Lemot passe à travers, reprenant une phrase de Paul Valéry. Photographe-affichiste, expert en mots d’esprit et rapprochements en tous genres, Hains forgeait pour cette exposition une série d’œuvres majeures autour de la figure du sculpteur François-Frédéric Lemot, découvert plusieurs années auparavant lorsque le FRAC se situait au domaine de la Garenne Lemot à Clisson. Riche de cette série, le FRAC des Pays de la Loire possède aujourd’hui l’une des collections importantes de cet artiste phare de l’art contemporain. Exposer Raymond Hains à la Garenne Lemot répond à un souhait de l’artiste et relève d’un choix esthétique et sémantique pertinent. Dix ans après, à la demande de Laurence Gateau, directrice du FRAC, l’exposition d’hommage qui s’organise pour l’été 2008 tend à donner un éclairage nouveau sur l’œuvre de Raymond Hains, notamment dans ses liens avec la jeune génération d’artistes. Hains, l’artiste des connexions, avait pris dans sa toile et sous son aile plusieurs jeunes artistes, comme Matthieu Laurette. Par ailleurs, le spectre de Raymond Hains s’étend bien au-delà des strictes amitiés. Une œuvre telle que Bien lu, mal lu, le code du petit beurre Lu (1983) manie les concepts de tautologie, d’appropriation et de détournement du langage et invente de nouveaux signes, autant d’éléments présents dans de nombreuses œuvres contemporaines.
« La langue ressort va dans la bouche je reste comme ça plus soif la langue
rentre la bouche se referme elle doit faire une ligne droite à présent c’est fait
j’ai fait l’image ».
L’Image, Samuel Beckett
Affichiste, décollagiste, « témoin oculiste » expert en mots d’esprit et en rapprochements en tous genres, Raymond Hains était aussi et avant tout photographe. Ses vues télescopées ou simultanées traquent pêle-mêle un niveau à bulle ou un parpaing oubliés sur un chantier, une enseigne publicitaire ou une statue d’Henri IV, utilisant autant de pellicules qu’il faut pour montrer
le déroulement d’une pensée toujours en mouvement. Car la photographie permet de « fixer les idées », disait-il. Après un premier épisode abstrait appelé aussi « hypnagogique », dans lequel il observe l’éclatement des images à travers des jeux de prismes et de miroirs, vient la tentation du cinéma.
Dans Pénélope (1950-1953), réalisé avec Jacques Villeglé, il fait défiler devant sa caméra de longues planches avec aplats colorés, qui vibrent, ondulent suivant des mouvements simultanés, en profondeur et de gauche à droite. Dès les débuts, il déforme, détourne, glisse d’une forme à l’autre avec un raffinement de la vision qui ne se dément jamais. Sa volonté de précision infinie l’empêche de donner un terme à Pénélope : chez lui, l’inachèvement est un principe. Il laisse son regard flâner à travers les signes et se laisse pénétrer par les choses. Sa pensée photographique fait bouger les lignes, invente des formes, et saisit ce qui dans l’image pointe vers un sens. Tout en déformant le visible, Raymond Hains a toujours travaillé les mots, dans un discours incessant qui l’amenait là où on ne l’attendait pas. Comme ses photographies, chacune de ses expositions, tramée autour un scénario précis avec un lieu et des personnages, était pensée par lui comme un
événement. Pour l’exposition nantaise du Frac des Pays de la Loire en 1998, il avait détourné une citation de Valéry « Il y a prose lorsque le mot passe à travers notre regard, comme le verre à travers le soleil » en « Lemot passe à travers », en hommage à François-Frédéric Lemot, le constructeur de la villa de La Garenne Lemot à Clisson1. Nous devons aujourd’hui montrer les oeuvres de Raymond Hains sans les digressions et les paroles qui les animent, les transforment et les fondent, en manquant forcément une partie de leur sens. Toutefois, exposer Hains dans la villa de Lemot, c’est poursuivre le jeu des hasards et réparer l’occasion manquée : l’exposer à point nommé.
Deuxième volet ou acte II, l’exposition Comme le verre à travers le soleil finit la phrase de Valéry, pour insister sur l’importance du regard du photographe. Outre ses photographies et films des débuts, elle reprend les Macintoshages, photographies grand format d’écrans d’ordinateur avec ouverture de fenêtres juxtaposées, qui formalisent ses glissements verbaux et sémantiques, mais aussi les Sculptures de trottoirs qui montrent sa capacité à détourner et à faire monter en signification des éléments du quotidien. « Rapprocheur d’images » et « tisseur d’histoires », Hains s’approprie tout : les « coïncidences » ou les « hasards » qu’il découvre dans le monde qui l’entoure, mais aussi les oeuvres des autres, considérées elles aussi comme des signes. Le O de Mosset2 ou les trois couleurs de Mondrian3 reviennent dans plusieurs de ses oeuvres. « J’essaie de voir, chez les autres artistes, où on en est par rapport à mon propre travail », disait-il. Nous l’avons pris au mot, en nous demandant quels échos son travail trouvait dans la jeune génération d’artistes. Confrontant les oeuvres de Hains avec d’autres pratiques contemporaines, cette exposition tente de leur impulser un nouveau souffle, et de poursuivre leur histoire autrement. Elle montre combien une oeuvre telle que Bien lu, mal lu, le code du petit beurre Lu (1983, Frac des Pays de la Loire), qui manie les concepts de déformation, de tautologie, d’appropriation du langage, trouve des échos très percutants dans de nombreuses oeuvres contemporaines. Avec ces trois mots – déformation, tautologie, appropriation –, nous avons imaginé un
parcours d’exposition, en invitant au côté de l’artiste d’autres « philologues de la Garenne Lemot »4.
L’attitude iconoclaste de Raymond Hains autorise tous les rapprochements. À la limite, l’aspect immatériel, irreprésentable de son oeuvre peut se traduire dans le flux poursuivi par d’autres artistes, en montrant les passages et les échos entre les uns et les autres. « Lancer des pointes ou des passerelles, c’est comme faire des critiques et des rapprochements ou télescopages : c’est ma spécialité », disait-il. À la manière de Hains, l’exposition adopte la logique des glissements, en observant les effets de sens naissant du rapprochement de propositions, parfois disjointes dans leur propos, qui toutes pratiquent la logique du déplacement. L’erreur aurait consisté à parler de « famille » d’artistes, ou d’une « filiation » de Raymond Hains. Pour éviter un tel écueil, les liens se sont tissés entre des oeuvres précises, et non pas de façon globale,
entre des artistes. Parmi les critères de choix, la proximité formelle ou conceptuelle entre les oeuvres, mais aussi l’exigence d’une dimension critique par rapport aux oeuvres de Hains.
Les artistes exposés, qui, à une exception près, appartiennent à la génération née entre 1960 et 1970, développent en effet dans leur oeuvre une dimension politique qui n’intervient pas chez Hains : réflexion sur le signe publicitaire ou sur les modes de perception du réel (Franck Scurti, Philippe Durand, François Curlet). Quatre oeuvres de Gérard Collin-Thiébaut, Yann Sérandour, François Curlet et Anabelle Hulaut font directement intervenir la figure de l’artiste, en l’intégrant ou en la déjouant. Les autres rapprochements procèdent d’une logique indirecte, en particulier dans une approche de la question du langage et de sa représentation (François Curlet, Claude Closky, Philippe Durand). Scène urbaine filmée à travers un verre de bière, la vidéo Heineken Vision de Franck Scurti est une machine à perception. Visuellement, le défilement des passants perçu à travers le liquide gazeux évoque de façon saisissante les mouvements colorés du film Pénélope. Un autre rapprochement se fait immédiatement avec la vision poétique des photographies hypnagogiques. Si ce n’est qu’à la différence de Hains, Scurti observe simplement la déformation du réel : la série d’enseignes Les Reflets joue sur la perception
déformée à travers une flaque d’eau ou un effet de chaleur, sans la provoquer par des mouvements de caméra ou des glissements visuels. La pièce Good, de François Curlet, marque une autre forme de passage, de la déformation du visible à celle des mots : un aquarium posé sur une feuille porte une définition propre à faire frémir les plus grands philologues, « appareil domestique silencieux faisant office de loupe sur l’environnement immédiat et concluant sur la définition d’un jugement qualitatif ramené à une onomatopée ». Les photographies de la série Crois-moi de Philippe Durand, panneaux publicitaires tronqués, à demi effacés, viennent dialoguer avec les Sculptures de trottoir de Hains. Chez l’un comme chez l’autre, il y a passage du régime de la lisibilité à celui de la visibilité, lecture des signifiants de l’espace urbain. La pièce Marabout de Claude Closky, livre mural dans lequel les mots sont associés à l’infini selon le principe du son en commun (marabout, bout de ficelle...), évoque les discours en coq-à-l’âne de Hains. Si ce n’est qu’ici, deux systèmes opposés dialoguent : la démarche de « classement », très souvent développée par Closky, vient heurter les « déclassements » de celui qui se disait un « désordinateur naturel ». Dans la série des appropriations et détournements, avec Hains sur Lavier, une oeuvre volée à Raymond Hains (!) et soclée par Lavier, François Curlet flirte de très près avec la logique des rapts. Autre déplacement, Le Code du petit beurre Lu, relu, de Yann Sérandour, qui joue sur une duplication et une mise en reflet de l’oeuvre Bien lu, mal lu, le code du petit beurre Lu. Dans la série Chambres d’artistes, il poursuit le principe des appropriations et des dispositifs perceptifs, tout en déplaçant leur propos, en les rejouant. Deux photographies de la chambre de Raymond Hains à Nice, avec ses montagnes de livres et de sacs plastique, sont placées en regard d’un miroir, qui crée encore un effet de diffraction. Anabelle Hulaut, quant à elle, redistribue les rôles, en donnant à Raymond Hains celui de témoin discret de l’opération Donne-moi ton L et prends mon B, dont elle présente dans l’exposition certaines de ses photographies-constats. Avec Extrait de correspondance avec Anna Hidden - Gare de Gaël, elle se met en scène dans un lieu fréquenté par l’artiste5. Enfin, avec Merci Raymond et son Rébus onomastique sur le nom de Raymond Hains, Gérard Collin-Thiébaut lui rend un véritable hommage : un écho à ses jeux verbaux, mais aussi un vrai témoignage d’amitié. Car rendre hommage à Raymond Hains, c’est aussi, et peut-être avant tout, montrer ces liens d’amitié-là. L’exposition s’achève par la série Rue de l’amitié, réalisée avec Matthieu Laurette et exposée à la galerie Jousse Entreprise en 2002. Avec ses photographies des « métiers d’art Laurette », ou bien de Pierre Leguillon sur un cheval de bois, Raymond Hains montrait l’attention très grande qu’il portait aux jeunes artistes. Tous ont été les témoins et les acteurs des histoires qu’il racontait. Pour cette exposition, nous n’avions plus le discours de Hains. Pierrick Sorin nous le rappelle dans son film Une journée avec Raymond, une promenade avec celui qui n’a pas fini de courir.
Marion Daniel
1 Petite histoire hainsienne : lorsque Raymond Hains avait commencé à travailler pour cette exposition, au début des années 1990, le Frac se trouvait à La Garenne Lemot. Il avait déménagé à Nantes depuis 1994 lorsqu’il exposa finalement, en 1998.
2 Cf. Grand drapeau, photographie sur aluminium, 2003, collection Frac Bretagne.
3 Cf. notamment la boîte d’allumettes SAFFA, Hommage à Mondrian et De Chirico, 1970, musée national d’Art moderne.
4 Nous autres, philologues de la Garenne Lemot, était le titre choisi initialement par Hains pour l’exposition de 1998.
5 En 2006, une exposition d’hommage à Raymond Hains rassemblant près de cinquante artistes qui l’ont côtoyé, et intitulée Les Pas Perdus de Raymond Hains,