Gérard Collin-Thiébaut, Jordi Colomer, Wim Delvoye, Jean Fléaca, Hamish Fulton, Michel Gerson, Philippe Jacq, Suzanne Lafont, Yvan Le Bozec, Thierry Le Moign, Thomas Locher Timothy Mason, Laurent Moriceau, Johan Muyle, Antoinette Ohannessian, Bill Owens, Peter Saul, Didier Trenet
Œuvres de la collection du Frac des Pays de la Loire
Scène conventionnée
16, rue Saint-Denis
72300 Sablé-sur-Sarthe
Depuis 2003, une expérience unique est proposée par le Centre culturel Joël Le Theule à Sablé-sur-Sarthe et le Fonds régional d’art contemporain des Pays de la Loire à un groupe de volontaires saboliens : rencontrer un artiste et bâtir avec lui une exposition à partir de la collection du Frac. Pendant quelques mois au fil des rendez-vous, le projet se dessine.
Cette année, c’est Béatrice Dacher qui a été invitée à participer à cette cinquième édition du Frac est à vous. Pour le groupe constitué, tout a commencé par la découverte du travail de l’artiste. Première présentation, premiers échanges pour apprendre à se connaître et à se comprendre. Un axe de travail est alors défini, l’artiste propose au groupe d’établir une sélection d’œuvres sur la question du langage. Par ce choix, elle conduit les volontaires vers une direction qu’elle connaît bien.
Béatrice Dacher place la rencontre et la relation à l’autre (proche ou inconnu) au cœur de sa pratique. Dans ses premières interventions qui se situent dans le champs de la peinture, l’artiste s’interroge sur la place qu’occupe cette peinture dans notre univers quotidien. Dans La Maison où j’ai grandi (œuvre composée de onze huiles sur toile et d’une photographie appartenant au Frac des Pays de la Loire), le motif représenté dans les différents panneaux reprend celui de la tapisserie du couloir de son appartement. Un même motif répété sans fin qui constitue ce « décor » familier qu’elle déplace en dehors de son contexte avec ce qu’il comporte de mémoire, de souvenirs de moments vécus, partagés en famille. Cette mémoire de la trace du temps qui passe se perçoit en filigrane de ses premières œuvres aux plus récentes. Le temps du « faire » est aussi perceptible dans ses différentes pièces peintes ou brodées comme dans ce projet intitulé Les Habitants qu’elle réalise en 2005 dans trois communes bretonnes, et qui aboutira à la réalisation de trois immenses draps brodés par des habitantes de ces villages. Inscrits sur le tissu, les noms des résidents de ces trois communes qui ont souhaité s’inscrire dans ce projet. Lors de séances de broderies organisées par Béatrice Dacher – séances ponctuées d’échanges entre ces brodeuses réunies pour participer à cette aventure – les noms de chacun ont été lentement déposés pour construire la mémoire de différentes générations.
Les mots encore et toujours, ceux de son père (Lettre, 1980) au travers de cette lettre testamentaire écrite en 1980 que l’artiste a fait broder en 2001. Mots de proches qui portent en eux la trace d’une histoire personnelle mais dans laquelle chacun de nous se retrouve. Plus récemment, Béatrice Dacher propose pour une école T’entends les oiseaux ? où les mots évoquent ici un autre langage, celui des volatiles. Peints sur céramique, ces mots mystérieux n’ont de sens que le son qu’ils produisent, que les chants qu’ils évoquent. C’est le site de l’école qui a décidé Béatrice Dacher à s’arrêter pour écouter le bruissement de La Petite Amazonie, réserve d’oiseaux située à proximité. Comme toujours chez cette artiste, le proche amène vers le lointain, le voyage.
Après cette première rencontre entre le groupe de saboliens et Béatrice Dacher au cours de laquelle tous ont pu approcher son univers artistique, le groupe s’est mis au travail pour établir une sélection d’œuvres en lien avec la question du langage. Il a fallu d’abord se plonger dans la vaste collection du Frac pour opérer un premier choix. Échanges, débats, discussions ont conduit à établir la proposition actuelle où chacun a ainsi pu défendre ses propositions et les faire coexister avec celles des autres. Après quelques séances à Sablé, l’étape suivante s’est tenue à Carquefou. Après une visite du Frac, de ses expositions et de ses réserves, tout le monde s’est réuni pour fixer une liste définitive et se poser différentes questions. Comment mettre en espace des œuvres, les faire entrer en résonance, les faire coexister ? Comment proposer un parcours cohérent ? Au fil des interrogations, l’exposition a émergé. Salle par salle, la scénographie a privilégié des groupes d’œuvres qui entraient en dialogue sur des questions telles que le rapport aux objets, au quotidien, au territoire... Le plan d’exposition a ainsi été établi.
Pour poursuivre ces échanges, Béatrice Dacher a ensuite proposé un repas. Depuis 2002, l’artiste a mis en place un protocole dont l’heureuse issue est justement un plat à partager avec quelques convives. Une carte postale envoyée par des proches donne le départ du projet. Sur ces cartes qu’elle collectionne, une recette est donnée. Elle sera réalisée entre amis et une photographie témoin sera imprimée sur un set de table. Pour cette cinquième édition du Frac est à vous, tous les participants ont suivi le protocole de Béatrice Dacher et dégusté des rillettes du Mans et un rougail saucisses lors d’un repas dont une photo (celle choisie pour le carton) témoigne de l’aventure humaine au cœur de ce projet.
Tout commence par l’entrée avec Antoinette Ohanessian et son assemblage sur lequel on peut lire Quand on met des choses ensemble elles sont réunies. Ces quelques mots illustrent parfaitement ce projet, où les œuvres ont trouvé leur cohérence dans le rapprochement et les sens qui émergent de leur rencontre avec d’autres. Cet assemblage d’éléments disparates trouve un écho poétique au travers de la construction poétique de Johan Muyle, Eh bien dansez maintenant réalisée avec quelques objets glanés ici et là, et que l’artiste accumule dans son atelier. Comme une invitation à parcourir l’exposition d’un pas léger.
Après cette entrée en chanson, on retrouve chez Suzanne Lafont avec Le Bruit, la question du son qui pour être absent de l’œuvre n’est pas moins visible sur les visages des personnes photographiées. La théâtralité de cet ensemble trouve ici au côté de l’œuvre de Michel Gerson qui rejoue Céphale et Procris de Jean-Honoré Fragonard, une résonance singulière. La même emphase dans le jeu des modèles de Suzanne Lafont et Michel Gerson, qui conduisent à la passion que l’on peut lire sur les corps nus photographiés par Thierry Le Moign, où le corps devient support de l’écriture. Lettres encore sur ce divan d’Yvan Le Bozec qui renvoie aux jeux galants et à l’histoire de Céphale et Procris.
Le parcours se poursuit avec La Lettre diffuse de Laurent Moriceau, projet qui transcende le rendez-vous amoureux par la mise en place d’un jeu (à l’intéressée de parvenir à entendre la date de la rencontre qui sera déterminée par un concours de blagues). C’est aussi du cours des choses, de cette non séparation entre art et vie, avec les dessins de Jean Fléaca et leur force poétique qui décryptent le quotidien et la banalité des situations de tous les jours comme dans Tous les trains arrivent. C’est encore le dessin comme exercice régulier rythmant les journées de Didier Trenet, dans ces photocopies de cahiers qui apparaissent sous forme d’esquisses. Elles rassemblent des petits textes, des titres et des mises en forme, sortes d’éléments préparatoires à ses projet. Les mots encore et toujours dans ses cartographies imaginaires de Wim Delvoye dans lesquelles apparaissent contours et noms de pays inventés. Au côté de cette bâche qui renvoie chacun sur les bancs de l’école, la grammaire de Thomas Locher nous ramène à un apprentissage de la langue un peu « autoritaire ». Un voyage qui se prolonge avec Hamish Fulton dans The Heron Stands and Waits photographie témoin d’une traversée du territoire français par l’artiste en 1989.
Un versant plus sociologique est proposé enfin par trois artistes américains qui nous livrent leur vision d’un pays, de l’émergence de la société de consommation (Bill Owens) et sa pleine expansion (Timothy Mason), jusqu’à l’évocation de ses méfaits et des laissés-pour-compte (Peter Saul). La vidéoprojection de Jordi Colomer clôt le parcours de cette exposition. Avec Arabian Stars, l’artiste déplace les codes culturels de notre société occidentale. Cette culture imposée à tous semble déplacée dans ce désert où les mots ont perdu leur sens dans la traduction.
Enfin, comme un prolongement dans le centre culturel, l’œuvre sonore de Gérard Collin-Thiébaut, La Famille sans nom, est installée en dehors du parcours d’exposition. Comme une invitation faite à tous ceux qui entendront cette énumération de titres d’œuvres connues ou non, à venir découvrir celles présentées dans le cadre du Frac est à vous.
Pour la diffusion de sa collection sur le département, le Frac des Pays de la Loire reçoit le soutien du Conseil Général de la Sarthe.