Frac



Exposition
Si Alice m'était contée

du 1 avril
au 7 juin 2009
Jardin du Vent, Notre-Dame-de-Monts

Stefan Altenburger, Olga Boldyreff, Jennifer Bornstein, Marie-Céline Delibiot Marie Denis, Rineke Dijkstra, Patrick Neu, Guillaume Paris, Présence Panchounette.
Œuvres de la collection du Frac des Pays de la Loire.


Jardin du Vent

29 bis, rue Gilbert Cesbron
Notre-Dame-de-Monts (85)


En 2007, le Frac des Pays de la Loire et la Communauté de Communes Océan - Marais de Monts signent une convention pour donner toute sa place à l'art contemporain sur le territoire vendéen. Après la présentation en 2008 au Musée Milcendeau et à l'Ecomusée du Marais breton de l'exposition Chassé le naturel, en 2009 le Vent tourne jusqu'au Jardin de Notre-Dame-de-Monts. Moulin, sculptures animées, jeux de vent de ce jardin étonnant offrent le cadre propice pour se laisser conter Alice, autour des oeuvres du Frac qui redessinent le visage de l'enfance.

Là où les chers enfants assènent de « pourquoi ?», là où les adultes donnent « leur langue au chat », les artistes s'infiltrent dans la brèche ouverte par le lapin d'Alice où siègent paradoxes, absurdités, étrangetés. Un monde aux repères bouleversés où la peur voisine avec le jeu ; ce détour par l'ingénuité devient prétexte à interroger les règles de société.

  • « … cette étrange enfant aimait beaucoup s'imaginer qu'elle était deux personnes.
  • « Mais cela ne sert à rien, pensa la pauvre Alice, de prétendre être deux quand il reste à peine assez de moi pour faire une seule personne »1
  • Alice

Quand les adolescents de Jennifer Bornstein arborent les signes distinctifs de leur appartenance culturelle, les poses embarrassées des enfants photographiés par Rineke Dikjstra trahissent leur désœuvrement. L'enfant - puisqu'il se construit dans un face à face avec son environnement - est le baromètre intransigeant de la capacité d'intégration d'une société. Le groupe devient la règle jusqu'à l'assimilation pour ce jeune homme qui n'est autre que l'artiste, Jennifer Bornstein, se confondant avec les attitudes de ses camarades de jeux. Mais lorsqu'il est isolé de son contexte devant la caméra de Rineke Dikjstra, l'enfant répond par un regard qui se perd, loin de l'insolence prêtée à la jeunesse pour mettre à nu la vulnérabilité de celui qui se construit

  • « ...étais-je la même quand je me suis levée ce matin? J'oserais presque penser que je me sentais un peu différente. Mais si je ne suis pas la même, une question se pose: qui suis-je?
  • Ah! c'est un terrible problème! […]
  • Qui suis-je alors? Dîtes-le-moi, et s'il me plaît d'être cette personne je reviendrai.
  • Sinon je resterai ici jusqu'à ce que je sois devenue quelqu'un d'autre. »2
  • Alice

Agrippés à quelques reliquats de l'enfance (les poupées du petit garçon), affublés des accessoires trop grands de l'adulte (le sac et le chapeau de la petite fille), les enfants de Dikjstra portent les traces d'une histoire personnelle, le passage à l'age adulte, les traces d'une Histoire qui les dépasse, celles d'un pays déstabilisé .

  • « Si [cela] n'a pas de sens, dit le Roi, cela nous débarrasse de bien des soucis, vous savez.
  • De cette façon nous ne nous fatiguerons pas à chercher à comprendre.
  • Et pourtant, je ne sais pas. »3
  • Le Roi à Alice

Les repères entre enfance et age adulte se brouillent à mesure que les enjeux dépassent l'individu pour se confondre avec les ambitions d'une société. Des ambitions de consommation pour Guillaume Paris qui réinjecte dans l'univers enfantin les mécanismes de l'imagerie publicitaire. Mi offrande mi interdiction la main levée enserre les cacahuètes débarrassées de leur enrobage coloré. Un pas de plus est franchi vers la désillusion de l'univers enfantin où le marketing et ses enjeux financiers remplacent les contes et leurs fées ...

  • « Vous pensez, ma chérie, et cela vous rend muette. »4
  • La Duchesse à Alice

Des contes, Marie-Céline Délibiot retient l'univers onirique; le costume de princesse, le visage endormi. Si proche du visage de l'enfant par le cadrage photographique resserré, nous sommes pourtant tenus à distance de son territoire, celui de sa pensée. Au contrôle de l'Homme sur son Histoire, Marie-Céline Délibiot oppose des narrations fabriquées à partir de quelques images fragmentaires. Les histoires ainsi contées ne se livrent pas totalement, ne s'enferment pas dans une vérité documentaire, Marie-Céline Délibiot autorisant les détours par nos histoires personnelles pour saisir ses images.
A l'emprise de l'Homme sur son territoire, Marie Denis oppose quant à elle le dérèglement naturel des choses. Elle s'en remet aux mouvements des coccinelles pour définir un ordonnancement; Situation poétique qui trouble l'histoire raisonnable du monde.

  • « - Je n'avais pas d'insectes, à vrai dire, expliqua Alice, parce qu'ils me font plutôt peur... du moins, les plus gros. Mais je peux vous dire le nom de quelques-uns.
  • Naturellement, ils répondent à leur nom, remarqua distraitement le Moucheron.
  • Je ne m'en suis jamais aperçue.
  • Pourquoi ont-ils un nom, alors dit le Moucheron, s'ils ne répondent pas quand on les appelle?
  • Ça ne leur sert à rien à eux, dit Alice, mais c'est utile pour les gens qui parlent d'eux, je suppose.
  • Sinon, pourquoi les choses ont-elles des noms? »5
  • Alice et le moucheron

Le rapport à l'espace et au temps soumis aux mouvements des coccinelles se fonde sur des propositions aléatoires qui déstabilisent notre perception traditionnelle du monde. Les tricotins d'Olga Boldyreff qui ont la futilité de l'enfance se jouent également d'une vision pragmatique de notre cadre spatio-temporel en redessinant le contour de notre quotidien. L'artiste sème ses tricotins aux motifs enfantins dans les lieux publics. A l'évidence du dessin répond la spontanéité du lien tricoté avec celui qui se rapproprie l'étrange objet.
Ce lien semble définitivement perdu dans la poésie digitale de Stefan Altenburger. L'errance du personnage fictif ne rentre plus en contact, ne rencontre plus d'obstacles ; L'artiste désactive les actions virtuelles du jeu, ne reste alors que la promenade solitaire dans un cadre atemporel.

Quand Alice nous était conté... nous imaginions l'invitation magique d'un pays où se dérobent les règles du bon sens et si Alice nous était contée ... nous pourrions entendre les doutes de celui qui ne maîtrise pas les règles du jeu ; à l'image du carosse de Patrick Neu ou du Nain de Présence Panchounette abordant une enfance aux contours féeriques, mais dont la fragilité de l'un construit en mie de pain et le gigantisme de l'autre, entament les limites du conte.

1 Citations extraites d'Alice au pays des merveilles de Lewis Carroll