vue de l'exposition "Paradis sans promesse"
cl : Loo Zihan
vue de l'exposition "Paradis sans promesse"
cl: Loo Zihan
vue de l'exposition "Paradis sans promesse"
cl : Fanny Trichet
vue de l'exposition "Paradis sans promesse"
cl : Loo Zihan
vue de l'exposition "Paradis sans promesse"
cl : Loo Zihan
Artistes en résidence au Frac, montage de l'exposition
projet organisé dans le cadre de « Singapour en France - le festival », en collaboration avec le National Heritage Board (NHB), Singapour
artistes invités : Chun Kai Feng, Godwin Koay, Joo Choon Lin, Loo Zihan, Kray Chen Kerui
Résidence du 5 janvier au 8 mars 2015
Pour la première fois en France, la culture contemporaine de Singapour est mise à l’honneur dans le cadre de « Singapour en France - le festival », à travers plus de 60 événements dans 45 lieux différents. Ce festival, proposé et co-organisé par l’Institut français, le National Heritage Board (NHB) et le National Arts Council (NAC), se tient en France, du 26 mars au 30 juin 2015, à l’occasion du 50e anniversaire de l’indépendance de Singapour. C’est dans ce cadre que sont accueillis, à l’occasion des 29e ateliers internationaux du FRAC des Pays de la Loire, cinq jeunes artistes, Chun Kai Feng, Godwin Koay, Joo Choon Lin, Loo Zihan et Kray Chen Kerui.
C’est l’occasion pour le public français de découvrir cette cité-Etat de cinq millions d’habitants, île située entre la Malaisie et l’Indonésie, société cosmopolite aux quatre langues officielles, peuplée de Chinois, d’Indiens, de Malais, d’Indonésiens et d’Occidentaux... Ancien comptoir puis base navale britannique, deuxième port au monde, Singapour est célèbre pour ses jardins luxuriants, pour sa densité et sa croissance exceptionnelles, pour ses rues immaculées et ses nombreux gratte-ciels. Paradis technologique au beau milieu d’un océan Pacifique chaotique et objet de toutes les convoitises, Singapour est aussi, 50 ans après son indépendance, une utopie pragmatique, régie par le confucianisme et un Etat omnipotent, mue par le souci constant de préserver une paix sociale et une obéissance aux règles qui sont les conditions sine qua non de la stabilité politique et de la prospérité économique du pays, cette même prospérité qui constitue, avec la crainte de ne plus en bénéficier, le ciment premier de la société singapourienne.
Les œuvres respectives de ces cinq jeunes artistes de Singapour témoignent, chacune à leur manière, des tensions inhérentes à cette utopie pragmatique et parcellaire, tensions entre une société cosmopolite, à la croisée de plusieurs cultures, et le conformisme moral et de mœurs qui y règne, entre le libéralisme économique et l’autoritarisme du pouvoir, entre individualisme patent et référence constante à la collectivité, entre aspirations démocratiques et recherche de la stabilité, entre puissance d’une métropole ultramoderne mondialisée et vulnérabilité environnementale et géopolitique, entre ouverture au monde et à ses flux et cristallisation d’une identité nationale. Une société en devenir donc, où toute une jeunesse se cherche un destin, un intérêt commun qui ne seraient plus seulement la somme des intérêts en commun.
Tels seront sans doute les enjeux de ce temps de résidence, ceux d’un commun à bâtir à partir de cinq identités, individualités et démarches artistiques distinctes, toutes cependant porteuses, à leurs niveaux respectifs, du désir de bâtir un projet commun. A Carquefou, il s’agit de jeter les bases d’espaces de discussion et d’échanges, de mettre en œuvre un dispositif à même de rendre tangible, tant pour les artistes que pour les visiteurs, les liens tacites et les lignes de tensions entre les projets, les narrations et identités communes en voie d’émergence.
Pionnier en ce domaine, le Frac des Pays de la Loire a mis en place dès 1984 les Ateliers Internationaux. Le Frac développe par cette expérience exceptionnelle en France une activité de soutien à la création qui contribue à enrichir sa collection de manière originale. Lieu de recherche, d’échanges et de production, ces Ateliers sont un laboratoire actif et réactif.
Chaque année pendant deux mois, ils permettent aux artistes invités de travailler et de rencontrer des acteurs du monde de l’entreprise, du milieu professionnel (conservateurs, critiques d’art, galeristes) ainsi que des élèves des universités et des écoles d’art qui les assistent. Les œuvres réalisées sur place sont ensuite présentées au public.
Depuis 2007, Chun Kai Feng met en œuvre un travail aux confins du design et de la sculpture, largement nourri par l’histoire de l’art moderne, depuis les ready-made duchampiens jusqu’à la sublimation d’objets du quotidien chez Roy Lichtenstein, en passant par les modules empilés de Constantin Brancusi et l’usage des matériaux industriels chez les artistes minimalistes. Surfaces lisses, brillantes, aux couleurs chatoyantes, formes géométriques, maquettes de gratte-ciels grisâtres, d’intérieurs standardisés, de parcs d’attraction carcéraux (He’s Satisfied from Monday to Friday and on Sunday He Loves to Cry) agrandissements caricaturaux de mégots de cigarettes parfaitement alignés, de plantes grimpantes vectorisées (What Happens When Nothing Happens), les objets de l’artiste expriment un imaginaire moyen, celui d’une société où progrès, nouveauté, propreté, conformisme et sécurité priment sur toute autre valeur.
A l’occasion de Paradis Sans promesse, Chun Kai Feng investit un pan de mur de l’espace d’exposition du Frac avec de nouvelles pièces, reprenant son langage plastique, entre design et sculpture. Un « extrait » de rampe, un boîtier d’angle lumineux, une série de monochronomes blancs et bleus, ces pièces aux couleurs chatoyantes, extrêmement abstraites et d’apparence impersonnelle, entretiennent cependant un lien ténu et discret avec l’environnement du Frac.
Diplômé en 2011, Godwin Koay fait usage d’images et de textes, témoignages et compte-rendus de révoltes, de manifestations et d’aventures, et de la répression qu’elles subissent inévitablement. Ces matériaux, glanés dans les journaux, sur les réseaux sociaux et dans des livres, il les retravaille au moyen du dessin, de l’aquarelle, les échantillonne et les découpe, puis les articule en une archive hétéroclite, dont la fragilité et le caractère artisanal contrastent avec l’échelle mondiale des événements et médias évoqués. Prenant la forme d’une enquête, sa démarche artistique se déploie aux confins des pratiques sociales et politiques, cherche à ouvrir des espaces tactiques d’échanges et de narrations, à dégager des marges de manœuvre dans les interstices laissés par l’ordre du pouvoir.
Dans le cadre de sa résidence au Frac des Pays de la Loire, Godwin Koay active une nouvelle recherche autour du drapeau singapourien et de ses éléments, entre sémiotique et peinture abstraite. Il cherche ainsi à déconstruire le symbole d’une identité et d’une unité nationale en perpétuel chantier.
Dans ses installations, sculptures, vidéos aux couleurs criardes et à l’esthétique kitsch, comme échappées de films d’horreur de seconde zone, la jeune plasticienne Joo choon Lin ne cesse de mettre à mal notre perception du réel, et d’interroger les rapports distendus entre essence et apparence, entre perceptions tactiles et visuelles, n’hésitant pas pour ce faire à plonger le spectateur dans un univers rocambolesque peuplé de démons, de caisses en bois translucides, d’appareils photos fondus et de téléviseurs hantés, d’imprimantes devenues folles et de nappes couleur mer. C’est une invitation à traverser le miroir d’un réel dont la surface est depuis longtemps informée par les technologies successives de l’image et par les mass-médias. Loin cependant d’accéder à une réalité, c’est à une version liquéfiée, inversée que nous faisons face.
Dans la continuité de sa série Intestinology, l’artiste propose au Frac des Pays de la Loire une vaste installation faisant la part belle aux gants et aux couteaux de cuisine, entre monument funéraire et ex-voto. L’ensemble se veut un hommage en même temps qu’une mise en lumière de certains des accessoires les plus usités sur les scènes de crime du monde entier. Il s’agit pour Joo Choon Lin de poursuivre une réflexion autour de l’innocence des objets du quotidien qui nous entourent, et de leurs liens à notre inconscient collectif ainsi que le rôle ambivalent qu’ils remplissent dans notre rapport au monde et à l’autre.
Sous la forme de vidéos, de performances, d’installations multimédia et d’archives, Loo Zihan aborde quelques questions artistiques et sociales fondamentales, telles que la relation entre l’artiste et son champ social, le pouvoir émancipateur de l’éducation, ce qu’il est admissible ou non de dire et de faire en public. Prenant appui sur des événements ou des personnalités de l’histoire artistique récente ou lointaine, le jeune artiste explore les figures de la honte et de l’humiliation, les pratiques sexuelles déviantes et les dangers du plaisir, invitant les spectateurs à prendre part à son questionnement, dans une société singapourienne qui condamne l’homosexualité et qui censure tout contenu considéré comme politiquement subversif. Il a ainsi rendu hommage, documenté et rejoué une performance de l’artiste singapourien Josef Ng, Brother Cane, frappée d’une interdiction de 10 ans pour obscénité.
A l’occasion de ce séjour, le jeune artiste mène une enquête sur l’histoire des Ateliers Internationaux, sur les artistes qui y ont participé et sur le contexte de leurs créations, dont les résultats seront présentés dans l’exposition. Ce faisant, il s’agit pour Loo Zihan, dans une démarche de critique institutionnelle, de conjointement réfléchir à son statut d’artiste singapourien invité en France dans le cadre d’un événement culturel transnational, de mener un projet qu’il souhaite aussi dégagé que possible des attentes que suscite sa présence, enfin de proposer une œuvre qui interroge le contexte de création tout en déconstruisant le rapport qu’entretient l’artiste avec celui-ci.
Dans une veine volontiers burlesque, notamment par le biais de boucles vidéo et de montages photographiques, Kray Chen Kerui se fait son propre personnage anonyme, citoyen « moyen » singapourien, quoique corpulent cherchant désespérément à correspondre à l’idéal anonyme porté par le pays : il patiente dans une queue, fait de l’exercice pour perdre du poids, court indéfiniment autour d’un terrain, comme absent à lui-même, marionnette d’un idéal de conformité morbide : « Faites de l’exercice maintenant et plus tard vous pourrez entrer dans un cercueil standard », « il doit y avoir quelque chose de vraiment vraiment bien à la fin d’une vraiment vraiment longue file d’attente». Les œuvres de Kray Chen Kerui témoignent avec cynisme du conformisme singapourien, mêlé de l’espoir toujours entretenu de sortir du lot, de tirer le bon numéro.
Poursuivant sa démarche de vidéaste et d’auto-filmage, Kray Chen Kerui a investi l’espace labyrinthique du supermarché voisin du Frac, cherchant à déterminer l’ensemble des trajets possibles dans un espace qui rappelle, vu de haut, un échiquier. Le spectateur se retrouve dans les pas de ce client en errance, plongé dans un univers aux accents volontiers kafkaïens.