Vue de l'exposition : Sois naturel, sois toi même, Frac, 2011
cl : Vaïda Budreviciute - © Frac des Pays de la Loire
Vue de l'exposition : Sois naturel, sois toi même, Frac, 2011
cl : Vaïda Budreviciute - © Frac des Pays de la Loire
Vue de l'exposition : Sois naturel, sois toi même, Frac, 2011
cl : Vaïda Budreviciute - © Frac des Pays de la Loire
Vue de l'exposition : Sois naturel, sois toi même, Frac, 2011
cl : Vaïda Budreviciute - © Frac des Pays de la Loire
Vue de l'exposition : Sois naturel, sois toi même, Frac, 2011
cl : Tangi Gicquel - © Frac des Pays de la Loire
Yang Xinguang, Sharp Point, 2011
œuvre de la collection du Frac des Pays de la Loire
cl : Vaïda Budreviciuté - © Frac des Pays de la Loire
Vue de l'exposition : Sois naturel, sois toi même, Frac, 2011
cl : Vaïda Budreviciute - © Frac des Pays de la Loire
Vue de l'exposition : Sois naturel, sois toi même, Frac, 2011
cl : Vaïda Budreviciute - © Frac des Pays de la Loire
Vue de l'exposition : Sois naturel, sois toi même, Frac, 2011
cl : Vaïda Budreviciute - © Frac des Pays de la Loire
Vue de l'exposition : Sois naturel, sois toi même, Frac, 2011
cl : Vaïda Budreviciute - © Frac des Pays de la Loire
Vue de l'exposition : Sois naturel, sois toi même, Frac, 2011
cl : Vaïda Budreviciute - © Frac des Pays de la Loire
Vue de l'exposition : Sois naturel, sois toi même, Frac, 2011
cl : Vaïda Budreviciute - © Frac des Pays de la Loire
artistes invités : Yang Guangnan, Duan Jianyu, Jiang Pengyi, Huang Xiaopeng, Yang Xinguang, Kan Xuan
commissaire : Hou Hanru
résidence : du 19 septembre au 30 novembre 2011
L’art chinois est tendance. Mais en crise. Son succès sur le marché international et dans le système des institutions de représentation – des galeries aux musées, médias et industries de la mode, en passant par les tractations diplomatiques, et autres transactions et collections privées – est en train d’en faire une marchandise parfaite, production de plus en plus « pittoresque » de la société du spectacle. Un nombre grandissant d’œuvres d’art issues de la Chine contemporaine deviennent, par le biais de cette spectacularisation, de purs symbole, de pures formes : « représentations culturelles » d’images clichés d’une Chine imaginaire, que les médias et le marché mondiaux/mondialisés peuvent sans mal interpréter, vendre et consommer. Ce n’est pas seulement l’intégrité intellectuelle de la création qui s’en trouve menacée, mais l’individualité et la singularité de l’artiste, dont la liberté individuelle et l’expression de l’imaginaire s’évanouissent du même coup.
Le processus de création artistique se trouve dès lors borné à un champ artificiellement étroit et truqué. Les artistes y perdent leur âme et les valeurs fondamentales de l’activité artistique tout comme ses fonctions sociales – lutte politique, émancipation personnelle, etc. – s’en trouvent aliénées. La meilleure façon de résister à cette crise de l’aliénation est sans doute de chercher des manières de vivre et de travailler qui soient vraiment naturelles. Sois naturel, sois toi-même – une injonction qui ne va pas sans rappeler la vieille sentence chinoise, shunqi ziran.
Être naturel et fidèle à ses principes s’avère de fait un exercice complexe. C’est une épreuve d’intégrité éthique et d’engagement intellectuel de l’artiste, qui doit se confronter tout au long de sa vie à l’exploration de l’expression de ce que signifie être créatif dans un monde aussi changeant qu’aliénant. Sans cesse, il doit se battre pour défendre la pertinence de sa vision et de son expression artistiques face aux transformations du monde – ce qui exige une patience et une capacité à composer continuellement avec son environnement sous la pression du regard extérieur et des conditions matérielles. Et il doit enfin parvenir à déterminer et manifester son véritable soi ou son être-artiste authentique.
Un travail en résidence peut offrir un certain nombre de conditions matérielles à l’éclosion de projets d’artistes qui ont besoin de temps et d’espace pour penser et concrétiser leur tentative de « retour » à un processus naturel de création. En 2011, nous avons sélectionné et invité en résidence au FRAC des Pays de Loire six artistes chinois ayant émergé à la fin des années 1990 ou plus récemment : Huang Xiaopeng, Kan Xuan, Duan Jianyu, Yang Guangnan, Yang Xinguang et Jiang Pengyi. Il s’agit là de personnalités hautement singulières, des artistes que nous considérons comme exemplaires en terme de pensée artistique, philosophique et sociale, et en terme de regard et de langage esthétiques. Le temps, l’espace, tout comme les ressources – modestes, mais efficaces – de la résidence leur offrent les conditions nécessaires à la reconstruction d’une manière d’être naturelle par le dialogue avec les autres, qu’ils soient Européens ou Chinois...
Hou Hanru
pour en savoir plus…
Si la traduction des différentes langues et modes de pensée artistique, des différents modes de production et de diffusion de l’image constitue une forme essentielle de production du sens à l’âge de la mondialisation, elle constitue aussi un élément clé de la construction de l’identité de tout acteur culturel d’aujourd’hui. Son influence sur la perception du monde et sur les manières de vivre des gens ainsi que ses implications politiques nous mettent tous – et plus que quiconque les artistes vivant et travaillant aujourd’hui dans le système de circulation globale des idées, des images et des marchandises... – face à des défis urgents.
Artiste et enseignant installé à Guangzhou, Huang Xiaopeng a passé plus de vingt ans à Londres et son œuvre incarne ce moment critique : tout son travail s’attache à révéler l’énergie et les paradoxes engendrés par les mécanismes de traduction culturelle. Dans ses œuvres vidéos et ses installations, il utilise les logiciels de traduction en ligne pour traduire paroles de chanson, livres et publicités qui ont profondément influé sur la manière dont les Chinois perçoivent et assimilent la modernité, les idéaux politiques, etc. Il s’attache ainsi à souligner le caractère aussi inévitable que productif des erreurs de traduction et de compréhension entre les cultures. C’est dans l’infini combat entre le désir d’exactitude de la traduction – et donc de transparence herméneutique entre les cultures – et son échec inévitable que naissent les diversités culturelles. Pendant ce temps, les appropriations politique et économique des « échanges culturels » engendrent certains des phénomènes les plus absurdes et les plus violents de nos sociétés...
Les œuvres de Kan Xuan, de Yang Xinguang et de Yang Guangnan explorent la dimension plus « métaphysique » de cette négociation avec la vérité et la représentation et son influence sur la vie sociale et personnelle. Témoins du « développement social » aussi intense que contradictoire et ridicule qui opère actuellement en Chine et dans le monde, ils affirment leurs positions afin de révéler la vérité de ce qui ne peut être saisi dans la logique de la représentation spectaculaire et avec les techniques d’interprétation traditionnelles. C’est dans la résistance à l’interprétation qu’ils atteignent à une existence individuelle propre. Dans son œuvre vidéo, Kan Xuan pousse à ses limites la capacité filmique du médium à fabriquer des images afin de saisir l’imperceptible dans les choses en mouvement. Elle nous invite à observer en détail ce qui est en perpétuel mouvement et finit par provoquer en nous suspicion, voire nausée, et par bousculer nos convictions profondes sur la vérité, fondamentalement formatées et marquées au sceau de l’idéologie du pouvoir. On éprouve, face à ses œuvres, la pure révélation d’un véritable état du monde qui excède tout espace discursif – une stratégie fortement inspirée du zen.
S’inspirant de ce même esprit et plutôt que de construire ses œuvres en « moulant les matériaux », le jeune sculpteur Yang Xinguang se contente de collecter des matériaux trouvés et de les recombiner. Sans en altérer la forme existante – branches d’arbre, bambous, panneaux de bois, etc. Il tente d’en suivre la texture naturelle et d’intervenir sur eux par des micro-actions (polissage, dessin, laminage, taille et greffe). Ces interventions révèlent la beauté virtuelle et latente des choses, tout en en préservant la fragilité et la fugacité subtiles... Par une stratégie similaire, Yang Xinguang intervient régulièrement au sein de situations sociales, dans lesquelles il introduit des actions et éléments de performance qui viennent modifier temporairement le décor social établi et interroger les véritables mobiles des faits sociaux et collectifs. Sa compagne Yang Guangnan partage cette stratégie hybride qui relève autant du situationnisme que du zen. Elle s’attache dans ses œuvres multimédia à retracer l’état de l’existant et à saisir les changements les plus intangibles. Comme une pratiquante zen, elle n’intervient que sur les situations existantes en observant attentivement et en pointant les choses. Le reste n’est qu’attente...
Mais la position tout en détachement et distance que semblent partager ces artistes face à la société humaine n’est pas simple stratégie de fuite. Bien au contraire. Ce choix réactive la possibilité d’atteindre à la liberté dans un contexte dominé par les contraintes sociales imposées par la logique de production du spectaculaire et du consommable. En manifestant leur indépendance, ils expriment également un point de vue critique fort sur le jeu qui régit le monde de la politique et n’hésitent pas, quand nécessaire, à intervenir directement dans le champs des conflits sociaux... Mais tout cela selon des chemins singuliers.
Dans cette culture de la représentation et du spectacle, le réel ne se distingue plus de la fiction. Ainsi les conflits entre la vision utopique du progrès – que représentent, non sans frénésie, les images exubérantes de l’urbanisation et du consumérisme contemporains en Chine et dans le monde – et la réalité sociale chaotique ouvrent un espace singulier, dans lequel l’ambivalence des relations entre normal et anormal, formel et informel, réel et virtuel, etc, vient aiguiser le sentiment critique et satirique des artistes. Forts de leur liberté nouvelle dans le champ de l’imaginaire, des médiums et de l’esprit, leur exploration des langages indépendants, au-delà de toute définition conventionnelle marquée au sceau du marché et des institutions, vient constamment alimenter leur engagement dans la production créative. Duan Jianyu est une peintre discrète, timide, presque secrète, qui explore toutes sortes d’incidents étranges du quotidien, et notamment ceux qui paraissent totalement banals aux yeux du public qui accueille le spectacle. Inspirée par la liberté, voire la naïveté, de l’art folklorique et de la littérature populaire, elle construit un monde personnel, rural et paradisiaque, qui combine les beaux rêves d’un déserteur de la vie et du chaos, et les cauchemars d’un loser affrontant l’accablante suprématie de l’opulence urbaine. Jiang Pengyi, un jeune geek de l’art multimédia, a « photoshopé » certaines des images les plus excentriques des paradis perdus du boom urbain, dont se vantent les grands gagnants des jeux de pouvoir du capitalisme néolibéral et de la « modernisation à la chinoise* » – les politiciens, capitalistes et leurs « amis artistes », etc. Dans la plupart de ses œuvres, Jiang Pengyi manifeste sa stupéfaction, son incompréhension et son vertige face à la rapidité de la mutation supra-humaine qui vient enrichir une poignée de « chanceux » au prix du sacrifice des intérêts de la majorité de la population, mais aussi de l’environnement dans lequel les humains et autres créatures vivent. Ses dernières réalisations forment des panoramiques urbains apocalyptiques, épilogues d’un monde grisant : pas un édifice pompeux, pas une manifestation triomphale qui ne manquera de « retourner à la poussière »...
Ainsi en va-t-il du monde. Et le seul moyen pour l’artiste de continuer à faire sens dans cette descente infernale vers l’entropie totale est de revendiquer son droit à vivre simplement, à sa manière, et de mettre en œuvre ce droit par l’indépendance de son regard. C’est l’ultime mission de l’artiste ; et elle incarne la vraie beauté de l’Œuvre d’Art... Regrouper six artistes, qui vivent simplement et créent une beauté simple, vise à poser les bases d’un véritable manifeste d’indépendance.
Hou Hanru
San Francisco, 4 septembre 2011
*En français dans le texte.